La gestion communautaire des forêts, un maillon central dans la conservation de la biodiversité

La Journée internationale des forêts a lieu chaque année le 21 mars, depuis sa déclaration officielle en 2012 par l’Assemblée générale des Nations unies. En 2020, le thème est celui des forêts et de la biodiversité, et vise à faire passer différents messages clés :

  • Les forêts abritent environ 80% de la biodiversité terrestre du monde.
  • Les forêts et les terres boisées comptent plus de 60'000 espèces d'arbres.
  • Plus d'un milliard de personnes dépendent directement des forêts pour leur alimentation, leur logement, leur énergie et leurs revenus.
  • La diversité génétique aide les forêts à faire face au changement climatique et à d'autres menaces.
  • La biodiversité est gravement menacée par la déforestation, la dégradation des forêts et le changement climatique.
  • La gestion durable des forêts et leur régénération éventuelle sont fondamentales pour les populations, la biodiversité et le climat.

L’Amérique latine est la région qui possède le plus de territoires gérés par les communautés locales et autochtones, représentant près de 23% de la superficie forestière (RRI, 2015). Cette reconnaissance croissante des droits territoriaux accordés aux communautés locales et autochtones est le résultat de mouvements sociaux historiques et de la mise en œuvre de processus de décentralisation (Larson et al., 2012). La Coordination des organisations autochtones du bassin amazonien (COICA) a notamment joué un rôle central dans la diffusion des revendications territoriales auprès des gouvernements et des instances internationales (Wallbott 2014 ; Claeys et Delgado, 2017).

La gestion communautaire des forêts fait référence à "l’exercice par les populations locales du pouvoir ou de l’influence sur les décisions concernant la gestion des forêts, incluant les règles d’accès et d’usage" (McDermott et Schreckenberg, 2009 : 158). Sur le continent latino-américain, la gestion communautaire des forêts prend des formes variées allant des microentreprises forestières gérées par les communautés locales aux pratiques culturelles traditionnelles liées à l’écotourisme ou à l’économie de subsistance.

Contre toute attente, la gestion communautaire des forêts a démontré son efficacité dans la conservation de la diversité non seulement biologique, mais aussi culturelle (Dupuits, 2017). La Convention des Nations unies sur la diversité biologique (CDB), adoptée en 1992, mentionne à ce titre dans son article 8j l’obligation des États parties de "respecter, préserver et maintenir les connaissances, innovations et pratiques des communautés locales et autochtones". Certains auteurs préfèrent dès lors utiliser le terme de "diversité bio-culturelle" pour étudier la co-construction entre préservation de l’environnement et pratiques culturelles locales (Foyer, 2011).

Le cas de l’Association des communautés forestières du Petén (ACOFOP), au Guatemala, illustre la reconnaissance progressive des communautés locales dans la conservation de la biodiversité. ACOFOP a été créée en 1996 à la suite de l’adoption des accords de paix avec le gouvernement, dans le but de négocier l’obtention de concessions communautaires forestières face aux intérêts industriels et extractivistes. Grâce aux actions de plaidoyer d’ACOFOP, treize concessions ont été accordées aux communautés locales, qui viennent s’ajouter aux dix coopératives qui conforment l’association (Taylor, 2010 ; Monterroso et Barry, 2012).

Jusqu’à ce jour, ACOFOP a maintenu ses activités de plaidoyer politique auprès du gouvernement et des organisations internationales afin que soit reconnu le rôle des communautés locales dans la conservation de la Réserve de biosphère Maya, dans la région du Petén. Diverses études scientifiques montrent en effet des taux de conservation bien supérieurs sur les territoires gérés par les communautés locales, en comparaison des aires de conservation gérées par le gouvernement (Davis et Sauls, 2017). La mobilisation continue d’ACOFOP a récemment porté ses fruits, avec le renouvellement fin 2019 de la concession forestière de Carmelita dans la communauté de San Andrés, pour une durée de vingt-cinq ans.

L’expérience de la Fédération native de Madre de Dios (FENAMAD) en Amazonie péruvienne illustre une dynamique similaire. FENAMAD a été créée en 1982 et représente trente-trois communautés autochtones de la région de Madre de Dios. En parallèle, l’Association des communautés forestières et autochtones de Madre de Dios (AFIMAD) a été créée en 2008 afin d’améliorer les activités productives des communautés autochtones sur les territoires forestiers. L’une des alternatives durables développées dans la région est la production de la noix du Brésil, qui permet à la fois de conserver les forêts puisque sa production n’implique pas la coupe des arbres et de fournir un revenu économique aux populations locales (Chavez et al., 2012).

Les deux exemples du Guatemala et du Pérou montrent comment une gestion durable des forêts par les communautés qui y vivent peut permettre de conserver efficacement la biodiversité. Ces expériences rompent avec les pratiques de conservation stricte de la biodiversité qui se sont intensifiées dans les années 1990 avec l’appui des programmes de conservation des grandes organisations non-gouvernementales (ONG) internationales. Ces organisations, parmi lesquelles l’Union internationale de conservation de la nature (UICN), le WWF ou Conservation International, ont progressivement évolué vers des pratiques plus inclusives et respectueuses des populations locales (Hufty, 2001).

Malgré ces avancées, la gestion communautaire des forêts reste menacée par la prédominance des intérêts du capital et des gouvernements à mettre en œuvre des politiques extractivistes sur les territoires forestiers (Dupuits et Ongolo, 2020). C’est le cas de la forêt du Petén au Guatemala comme de la forêt amazonienne au Pérou, qui font l’objet d’intérêts d’extraction minière ou pétrolière ainsi que de mégaprojets touristiques menaçant l’équilibre entre pratiques de gestion communautaire des forêts et préservation de la biodiversité.

Bibliographie

Chavez, A., Guariguata, M.R., Cronkleton, P., Menton, M., Capella, J.L., Araujo, J.P., & Quaedvlieg J. (2012). Superposición espacial en la zonificación de bosques en Madre de Dios : Implicaciones para la sostenibilidad del recurso castañero. Center for International Forestry Research (CIFOR). doi.org/10.17528/cifor/004034

Claeys, P., Delgado Pugley, D. (2017). "Peasant and indigenous transnational social movements engaging with climate justice". Canadian Journal of Development Studies / Revue canadienne d’études du développement, 38(3), 325-340. doi.org/10.1080/02255189.2016.1235018

Davis, A., Sauls, L. (2017). "Evaluating forest fire control and prevention effectiveness in the Maya Biosphere Reserve". San Salvador : PRISMA.

Dupuits, E., Ongolo, S. (2020). "What does autonomy mean for forest communities ? The politics of transnational community forestry networks in Mesoamerica and the Congo basin", World Development Perspectives, Proof. doi.org/10.1016/j.wdp.2020.100169

Dupuits E. (2017). "La biodiversité entre articulation des réseaux communautaires et autochtones, et instrumentalisation des arènes climatiques internationales", In Compagnon, D., Rodary, E., La construction des politiques de biodiversité, entre local et global, 103-126.

Foyer, J. (2011). "Les multiples politiques de la diversité bio-culturelle : Entre modernités alternatives et rhétorique instrumentale", In Gros, C., Dumoulin, D. (dir.), Le multiculturalisme au concret, Presses de la Sorbonne Nouvelle, 377-389.

Hufty, M. (2001). "La gouvernance internationale de la biodiversité". Études internationales, 32(1), 5-29.

Larson, A., Brockhaus, M., & Sunderlin, W.D. (2012). Tenure matters in REDD+ : Lessons from the field. In Analysing REDD+ : Challenges and Choices. Center for International Forestry Research, 153-176.

McDermott, M., Schreckenberg, K. (2009). "Equity in community forestry : Insights from North and South". International Forestry Review, 11(2), 157-170.

Monterroso, I., Barry, D. (2012). "Legitimacy of forest rights : The underpinnings of the forest tenure reform in the protected areas of Petén, Guatemala". Conservation and Society, 10(2), 136. doi.org/10.4103/0972-4923.97486.

RRI (2015). Who owns the world’s land ? A global baseline of formally recognized indigenous and community land rights. Washington : Rights and Resources Initiative.

Taylor, P.L. (2010). "Conservation, community, and culture ? New organizational challenges of community forest concessions in the Maya Biosphere Reserve of Guatemala". Journal of Rural Studies, 26(2), 173-184.

Wallbott, L. (2014). "Indigenous peoples in UN REDD+ Negotiations : "Importing power" and lobbying for rights through discursive interplay management". Ecology and Society, 19(1). doi.org/10.5751/ES-06111-190121

Émilie Dupuits

Émilie Dupuits

Émilie Dupuits est diplômée d’un doctorat en sciences de la société, mention science politique, obtenu à l’Université de Genève en 2017. Elle termine actuellement un projet de post-doctorat financé par le Fonds national suisse pour la recherche scientifique en tant que chercheuse invitée à l’Université internationale de l’Équateur (UIDE). Ses intérêts de recherche portent sur la gestion communautaire de l’eau et des forêts, et les mobilisations transnationales de la société civile en Amérique latine

www.unige.ch/gedt/en/anciens-membres/emilie-dupuits

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