Pompes à chaleur sur le résidentiel collectif : quelle source pour quelle demande ?
Introduction
Ce travail vise à analyser, d’un point de vue énergétique, le potentiel et les contraintes de l’utilisation des systèmes de chauffage avec pompe à chaleur (PAC) dans les bâtiments résidentiels collectifs. Il se base sur un retour d’expérience d'un système innovant de PAC avec source froide solaire, implémenté dans un nouveau complexe résidentiel. Par simulation numérique, le potentiel de ce système pour 6 bâtiments résidentiels collectifs différents est analysé, suivi par une analyse comparative des potentiels et contraintes de 6 sources froides différentes, mises en œuvre dans les 6 bâtiments en question. Le travail se termine par une discussion concernant l’impact potentiel, en termes de consommation électrique annuelle et de puissance de pointe (en valeurs journalières), d’un développement généralisé de ce type de systèmes sur le parc résidentiel collectif genevois.
Retour d’expérience d’un système PAC avec source froide solaire
La première partie de cette étude présente les résultats du retour d’expérience d'un système existant qui combine des PAC avec des capteurs solaires thermiques non vitrés (utilisés pour la production de chaleur ou comme source froide des PAC – Figure 1).
Figure 1 : diagramme simplifié du système de production de chauffage et d’ECS étudié ainsi que ses 4 modes de fonctionnement principaux.
Le système fournit le chauffage et l'eau chaude sanitaire à un complexe d'habitation (~ 10'000 m2 chauffés) construit récemment à Genève. Le suivi énergétique détaillé d'une des allées (~ 1'000 m2 chauffés, 32 habitants – Figure 2) a permis de caractériser le comportement du système (demande de chaleur du bâtiment, stratégie de contrôle, niveaux de température) et de déterminer les flux d'énergie ainsi que la performance énergétique du système.
Figure 2 : complexe d'habitation étudié ainsi que l’allée suivie en détail.
Les résultats (Figure 3) montrent une demande de chauffage très faible pour la Suisse (~ 20 kWh/m2/an) et une consommation d'eau chaude sanitaire inhabituellement élevée (~ 50 kWh/m2/an). Le coefficient de performance annuelle du système (seasonal performance factor – SPF), y compris le chauffage électrique de secours et la pompe de circulation du solaire, est de 2,9 pour 2012 (moyenne de 2,5 en hiver et de 4,4 en été). Ce résultat s'explique en partie par la forte consommation d'eau chaude sanitaire, ce qui implique une production de chaleur à haute température.
Figure 3 : bilan annuel de l’allée étudiée, 2012 (unités : kWh/m2).
Potentiel du système pour différents bâtiments résidentiels collectifs
La deuxième partie de cette étude analyse le potentiel du système mentionné précédemment sur différents bâtiments résidentiels collectifs (nouveaux et existants). L'étude utilise la simulation numérique comme complément au suivi énergétique.
Après une description du modèle numérique élaboré pour cette étude (schéma du modèle sur la Figure 4), les résultats de simulation sont validés avec les valeurs mesurées in situ, au niveau des composants et du système, en termes de profils mensuels et d'intégrales annuelles (Figure 5).
Figure 4 : schéma du modèle numérique ainsi que les flux énergétiques simulés.
Figure 5 : flux énergétiques au niveau de l’input du système, en kWh par SRE (kWh/m2).
Gauche : profils mensuels, mesures (pointillé) et simulation (ligne).
Droite : valeurs annuelles, mesures (Mon) et simulation (Sim).
Sur cette base, une analyse de sensibilité approfondie concernant les principaux paramètres de dimensionnement du système est réalisée. Enfin, on étudie la sensibilité du système aux demandes de chauffage et d'eau chaude sanitaire (ECS), en particulier en ce qui concerne l'applicabilité du système analysé dans des bâtiments rénovés (Figure 6).
Figure 6 : demande de chauffage (SH) et ECS (DHW) de l’échantillon de bâtiments étudiés (ajusté à l’année météorologique 2010) ainsi que les températures de distribution de chauffage à 0°C température extérieure (points, axe de droite).
Pour les conditions météorologiques de Genève, un facteur de dimensionnement de 3 m2 de capteur solaire par kW de puissance PAC est un bon compromis entre la taille et la performance du système, ce qui donne un SPF compris entre 3,1 et 4,1 (dépendant de la demande de chauffage). La consommation d'électricité associée (allant de 12 kWh/m2 pour un nouveau bâtiment à faible consommation énergétique, jusqu'à 45 kWh/m2 pour un bâtiment non rénové) dépend fortement de la demande de chaleur. C'est également le cas pour la surface des capteurs solaires (de 0,08 m2 par m2 de surface chauffée pour un nouveau bâtiment à basse énergie, jusqu'à 0,20 pour un bâtiment non rénové). Enfin, un SPF de 5 pourrait être atteint, mais seulement dans les nouveaux bâtiments avec une très bonne enveloppe thermique, une faible température de distribution de chauffage et une aire de captage d'au moins 0,20 à 0,25 m2 par m2 de surface chauffée. Cependant, l'investissement connexe peut ne pas être intéressant, compte tenu de la faible économie d'électricité associée, sans oublier qu'une telle aire de collecte ne serait pas adaptée aux bâtiments de plus de 4 étages.
Potentiels et contraintes des systèmes PAC selon leurs sources froides
La dernière partie fournit une analyse comparative des potentiels et contraintes de différentes sources froides (air, géothermie, eau profonde de lac, rivière, nappe phréatique, et solaire – Figure 7), valorisées par des PAC mises en œuvre dans les différents types de bâtiments résidentiels collectifs analysés.
Figure 7 : profil dynamique des sources froides étudiées (sauf sondes géothermiques).
En haut : l’air et les sources hydrothermiques.
En bas : radiation solaire globale horizontale. Valeurs horaires, année 2010.
Après caractérisation des différentes sources froides et demandes de chaleur et présentation du modèle numérique, nous étudions les deux situations suivantes : i) combinaison des différents systèmes PAC avec les différentes demandes de chaleur, sans tenir compte des contraintes éventuelles sur le toit disponible (PAC solaire) ou surface au sol disponible (PAC géothermique) ; ii) combinaison des différents systèmes PAC avec les différentes demandes de chaleur, en tenant compte des contraintes d'espace susmentionnées (Figure 8), ainsi que d'une éventuelle production photovoltaïque (PV) sur le toit restant (Figure 9).
Figure 8 : hauteurs des bâtiments considérés pour tenir compte des éventuelles contraintes en toiture/sol.
Gauche : bâtiment à faible hauteur (0.2 m2toiture/m2SRE, 4 étages).
Droite : bâtiment à grande hauteur (0.1 m2toiture/m2SRE, 8 étages).
Figure 9 : diagramme simplifié des flux d’électricité du système PAC + PV.
Selon les résultats présentés sur la Figure 10, pour les bâtiments ayant une demande de chaleur (chauffage et ECS) jusqu'à 80 kWh/m2, correspondant aux meilleures constructions actuelles, les systèmes PAC et PV combinés couvrent la demande totale de chaleur avec une consommation finale d'électricité inférieure à 15 kWh/m2 pour la majorité des cas (facteur 2 entre les extrêmes des ressources), et une puissance de pointe allant jusqu'à 150 Wh/m2/jour. Pour ces bâtiments, la décision de choisir la ressource dépendra probablement d'autres facteurs que la performance énergétique (disponibilité des ressources, restrictions légales, coût d'investissement, acceptabilité sociale, intégration des systèmes dans les bâtiments existants...). Pour les bâtiments à plus forte demande (90% du parc résidentiel collectif du canton de Genève), l'électricité annuelle finale peut atteindre 35 kWh/m2 et la puissance de pointe peut arriver à 500 Wh/m2/jour.
En complément à l'électricité finale consommée, l'électricité annuelle injectée dans le réseau est de l'ordre de 15 à 20 kWh/m2 pour les bâtiments de faible hauteur, et la moitié pour les immeubles de grande hauteur. À titre exceptionnel, dans les systèmes PAC solaires, la surface de toiture disponible pour le PV est tellement réduite que l’électricité annuelle injectée sur le réseau est significativement plus faible.
Si l'ensemble des bâtiments résidentiels collectifs du canton de Genève (19,3 millions de m2 en 2010) possédaient une très bonne enveloppe thermique et si la totalité était équipée de systèmes PAC, le total de l'électricité finale consommée resterait inférieur à 300 GWh, ce qui représente 10% de la demande totale d’électricité du canton. Cependant, la demande maximale au cours de l’année (en valeurs journalières) pourrait augmenter jusqu'à 3 GWh/jour, correspondant à 30% de la demande maximal du canton au cours de l’année (en valeurs journalières).
Figure 10 : performance énergétique des systèmes PAC et PV combinés (Efinal en valeurs annuels et puissance de pointe ainsi que le SPFfinal) pour des bâtiments à faible (en haut) et grande (en bas) hauteur.
Enfin, l’indicateur de performance énergétique du système (SPF) n'est pas suffisant car il ne reflète pas la valeur absolue de la demande d'électricité, qui dépend principalement de la demande de chaleur du bâtiment. Par ailleurs, tant le SPF que la demande annuelle d'électricité sont limités aux bilans annuels. Une indication de la puissance de pointe de l'électricité consommée par les systèmes donne des indications précieuses sur l’impact potentiel de ces systèmes sur le réseau électrique.
Remerciements / Financement
Cette étude a été réalisée grâce au soutien financier de l'Office fédéral de l'énergie (OFEN), les Services industriels de Genève (SIG), l'Office cantonal de l'énergie de l'État de Genève (OCEN) et la CTI dans le cadre du projet SCECER FEEB & D (KTI.2014.0119).
Liens
Cet article est le résumé de la thèse :
Fraga, C. (2017). Heat Pump Systems for Multifamily Buildings : Which Resource for What Demand ?
Carolina Fraga
Carolina Fraga est titulaire d’un Doctorat ès sciences de l’Université de Genève et d’un Master en ingénierie de l’énergie et de l’environnement de l’Université de Lisbonne. Elle travaille actuellement pour l’intégration optimale des pompes à chaleur aux systèmes de chauffage des bâtiments résidentiels collectifs via son activité au sein des Services industriels de Genève et ses recherches menées au sein du Groupe Systèmes énergétiques de l’Institut des sciences de l'environnement.