L'avis consultatif relatif aux Obligations des États en matière de changement climatique et le projet d'une carte interactive sur les exposés écrits soumis à la Cour internationale de Justice
"Le changement climatique constitue une crise existentielle pour l’ensemble de la famille humaine, mais les Petits états insulaires en développement (PEID) se trouvent en première ligne".
Face à la gravité de la crise climatique et porté par la volonté de protéger les générations présentes et futures, le Vanuatu, État insulaire du Pacifique, a exprimé en septembre 2021 son souhait de porter la question devant la Cour internationale de Justice (CIJ) en sollicitant un avis consultatif sur les responsabilités des États en la matière.
À l’issue d’un important travail diplomatique mené aux côtés d’une coalition d’États, la résolution 77/276 a été adoptée par l’Assemblée générale des Nations Unies le 29 mars 2023 avec un large soutien affiché par les États membres.
Les questions posées à la Cour peuvent être résumées ainsi : quelles sont, au regard du droit international, les obligations juridiques des États en matière de protection du système climatique, de l’environnement et des générations présentes et futures face aux émissions anthropiques de gaz à effet de serre ? Et quelles sont les conséquences juridiques pour un État qui ne respecte pas ces obligations, en particulier lorsque cela porte préjudice à d’autres États, aux PEID, aux peuples ou aux générations futures ?
Jamais une procédure consultative n’a mobilisé un nombre aussi important d’acteurs devant la Cour. En effet, elle se distingue par des chiffres sans précédent : 91 exposés écrits ont été déposés, complétés par 62 observations écrites et 96 États ainsi que 11 organisations internationales ont présenté leur position lors des audiences orales.
La CIJ a rendu son Avis sur les obligations des États en matière de changement climatique le 23 juillet 2025. Il s’agit d’un moment historique pour le droit international et la clarification des règles internationales que les États doivent respecter en matière climatique, tant au niveau international que national. L’avis comporte de nombreux points essentiels. Parmi ceux-ci, il convient de souligner que les juges de la CIJ se sont exprimés de manière unanime pour affirmer "l’obligation de prévenir les dommages significatifs à l’environnement en agissant avec la diligence requise et de mettre en œuvre tous les moyens à leur disposition pour empêcher que les activités exercées dans les limites de leur juridiction ou sous leur contrôle causent des dommages significatifs au système climatique et à d’autres composantes de l’environnement, conformément à leurs responsabilités communes mais différenciées et à leurs capacités respectives" (p. 457). La référence à la prévention de dommages significatifs "à d’autres composantes de l’environnement" doit s’interpréter en incluant un devoir de prévention des modifications du système climatique qui ont des effets négatifs sur d’autres composantes de l’environnement telles que les ressources en eau. En effet, les États et les institutions internationales, participants à la procédure consultative, ont largement souligné les effets des changements climatiques sur l’accès à l’eau potable et la qualité des eaux de surface et souterraines, en particulier dans les PEID.
Une carte interactive pour comprendre un avis historique
L’avis de la CIJ fait partie d’une mobilisation en matière de lutte contre le changement climatique portée en grande partie par la société civile, et notamment par deux groupes vulnérables : les jeunes et les aînés. Ainsi, un groupe d’étudiants de l’île de Vanuatu a été à l’origine de la procédure consultative devant la CIJ. En Suisse, une association de femmes, les Aînées pour la protection du climat ("KlimaSeniorinnen"), a saisi la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) en 2020. Ses membres estimaient que les mesures nationales adoptées par la Suisse étaient insuffisantes et risquaient de mettre en danger la santé, le bien‑être et la qualité de vie de ce groupe vulnérable. La décision de la CEDH a été rendue le 9 avril 2024 en soulignant "le caractère mondial des conséquences des émissions de GES [gaz à effet de serre] – par opposition à une atteinte à l’environnement se produisant uniquement à l’intérieur des frontières d’un pays – et le bilan généralement peu satisfaisant des États quant à l’adoption de mesures face aux risques liés au changement climatique qui sont devenus évidents ces dernières décennies" (par. 542). Bien que différentes, ces deux procédures engagées devant des juridictions internationales montrent que la question du changement climatique doit être traitée tant par des politiques nationales qu’internationales. Elles montrent également comment la société civile s’est emparée de cette thématique environnementale.
Au début de l’année 2025, le Geneva Water Hub, à travers sa Plateforme pour le droit international de l’eau douce, a décidé de développer une carte interactive destinée à synthétiser et rendre accessibles les positions juridiques exprimées par les 83 États et 12 organisations internationales dans leurs exposés écrits adressés à la CIJ. Ce travail vise à offrir une lecture structurée et comparative des fondements juridiques mobilisés par les différents acteurs internationaux.
La carte est accessible en ligne via les liens suivants :
Version française : https://unige.padlet.org/Geneva_Water_Hub/CIJ_French_Version
Version anglaise : https://unige.padlet.org/Geneva_Water_Hub/ICJ_English_Version
Elle est librement consultable et s’adresse aussi bien aux chercheurs et praticiens qu’à toute personne intéressée par les interactions entre droit international, justice environnementale et action climatique.
Chaque acteur est représenté par un point placé sur sa capitale ou son siège. Ce point donne accès à une fiche synthétique qui indique également leur part dans les émissions globales de GES. Les fiches mettent l’accent sur les principes de droit applicables au changement climatique ainsi qu’aux enjeux liés à l’eau et aux tensions pouvant découler de la gestion des ressources naturelles ou des aléas climatiques. Elles valorisent les références au droit international de l’environnement, au droit conventionnel, au droit coutumier et aux droits de l’homme.
Cet outil met en évidence les convergences et divergences d’interprétation du droit, les dynamiques régionales et les lignes de fracture géopolitiques, révélant les liens étroits entre le changement climatique, la gouvernance des ressources, le développement et la stabilité internationale. Enfin, ce projet contribue à une meilleure compréhension des dynamiques normatives en cours et du rôle du droit international dans la transition vers des sociétés durables, décarbonées et résilientes face à la crise climatique mondiale qui promet de s’intensifier dans les années à venir.
L’eau au cœur de la crise climatique
Le changement climatique affecte profondément les ressources en eau, tant en termes de qualité que de quantité. Certains de ses effets sont soudains et destructeurs, à l’image des inondations dévastatrices, des crues inédites liées à la fonte des glaciers, ou encore des glissements de terrain. Au-delà de ces phénomènes violents, de nombreux États alertent sur une tendance plus silencieuse mais généralisée : la raréfaction. Celle-ci se manifeste par le dérèglement de la pluviométrie, la diminution des eaux de surface et des aquifères, la salinisation des eaux douces côtières ou encore l’augmentation de la fréquence et de l’intensité des sécheresses. Il serait vain de tenter d’en dresser une liste exhaustive tant les atteintes sont légion.
L’analyse des exposés écrits révèle que la question de l’eau occupe une place centrale dans les préoccupations des États : plus de 80% des contributions y font explicitement référence. Des petits États insulaires aux pays enclavés, en passant par les régions traversées par des bassins fluviaux transfrontaliers, aucune partie du globe n’est épargnée. Ce constat témoigne de la diffusion mondiale des tensions liées à l’accès et à la gestion de l’eau.
Plusieurs États dénoncent les conséquences que la dégradation des ressources en eau est susceptible d’entraîner sur l’exercice de droits fondamentaux, au rang desquels figure le droit à l’eau. Un certain nombre d’entre eux, dont la Namibie et Maurice, s’appuient sur l’Observation générale n° 15 du Comité des droits économiques, sociaux et culturels pour en préciser la portée. Celle-ci énonce que le droit à l’eau consiste en "un approvisionnement suffisant, physiquement accessible et à un coût abordable, d’une eau salubre et de qualité acceptable pour les usages personnels et domestiques".
De nombreuses contributions relèvent l’interdépendance entre le droit à l’eau et d’autres droits fondamentaux, souvent inscrits dans le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (PIDESC) et le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP). Ainsi, il découle notamment du droit à un niveau de vie suffisant et du droit à la santé, et participe également à la réalisation d’autres droits essentiels tels que le droit à la vie, à la dignité humaine ou encore à la non-discrimination, autant de droits mis en danger par les effets du changement climatique.
Un nombre important d’instruments internationaux et de jurisprudence relatifs aux ressources en eau sont mobilisés dans les exposés pour étayer les argumentaires des États. Les Îles Marshall rappellent que le principe de prévention, consacré par la Convention de 1997 sur le droit relatif aux utilisations des cours d’eau internationaux à des fins autres que la navigation, constitue une obligation permanente de moyens, confirmée par la Cour dans l’affaire relative aux Usines de pâte à papier sur le fleuve Uruguay. Cette jurisprudence est également invoquée par l’Argentine, qui souligne que les risques environnementaux doivent être gérés conjointement par les États. La République démocratique du Congo la cite également pour insister sur les obligations de notification, d’information et de négociation entre États riverains. De nombreux États mettent également en avant l’obligation de ne pas causer de dommages significatifs, et rappellent que la Cour a affirmé, que le droit international général consacre une obligation coutumière de procéder à une évaluation de l’impact environnemental lorsque des effets transfrontaliers sont susceptibles de se produire.
Les États n’invoquent pas ces principes de manière théorique : ils les mobilisent pour montrer qu’ils s’appliquent pleinement au changement climatique, notamment en ce qui concerne les ressources en eau. La coopération, tout comme la prévention, notamment à travers l’évaluation d’impact, sont présentées comme des outils juridiques adaptés aux nouveaux défis climatiques. L’eau est avant tout une ressource que le droit international peut contribuer à protéger, en encadrant son usage et en promouvant une gestion durable et équitable. Elle est aussi, par endroits, un facteur de tensions que le droit peut contribuer à canaliser.
L’eau comme source de tensions à l’ère du dérèglement climatique
À travers l’ensemble des exposés écrits, une vingtaine d’États et d’organisations internationales établissent un lien entre la raréfaction de l’eau, l’une des conséquences du changement climatique, et l’augmentation des risques de conflits, à l’échelle locale, régionale et internationale.
Le Kenya évoque une intensification des tensions entre les communautés pastorales, particulièrement vulnérables à la variabilité climatique, qui compromet l’accès aux pâturages ainsi qu’aux sources d’approvisionnement en eau. Le pays ajoute que, dans les zones urbaines, l’insécurité hydrique se conjugue à l’insécurité alimentaire, créant ainsi une situation susceptible de provoquer des troubles sociaux.
L’exposé du Burkina Faso illustre également cette préoccupation, en soulignant que la raréfaction de la ressource accentue la compétition pour l’accès aux points d’eau, alimentant ainsi les dynamiques d’instabilité dans la bande sahélienne.
Enfin, la Sierra Leone, encore marquée par un conflit récent, affirme que les perturbations climatiques fragilisent les systèmes agricoles, exacerbent la concurrence pour des ressources essentielles comme l’eau et les terres, et augmentent ainsi le risque de conflits "au sein des nations et entre elles".
Si de nombreux États insistent sur ces liens dans le cadre de la présente procédure, c’est parce qu’ils estiment que les effets du changement climatique sur l’eau et la sécurité constituent des éléments déterminants pour apprécier l’étendue des obligations juridiques des États au regard du droit international. Les efforts d’atténuation et d’adaptation au changement climatique contribuent ainsi à réduire les facteurs de vulnérabilité et, partant, à prévenir les risques de conflits liés à la raréfaction des ressources.
Au-delà de ses implications sécuritaires, le changement climatique compromet également l’exercice effectif de plusieurs droits humains fondamentaux.
L’Accord de Paris, socle minimal ou cadre exclusif ?
La question de la portée de l’avis consultatif fait apparaître une tendance marquée (mais non systématique) dans les positions exprimées par les États. D’un côté, de nombreux États en développement, faibles émetteurs de CO₂ et particulièrement vulnérables aux effets du changement climatique, soutiennent une approche plus large. De l’autre, plusieurs États développés ou à forte dépendance aux énergies fossiles plaident pour une interprétation plus restreinte.
Une quinzaine d’États, dont les deux plus importants émetteurs de CO₂, les États-Unis et la Chine, estiment que seules les obligations issues du régime conventionnel spécialisé, fruit de négociations diplomatiques intenses, doivent être prises en compte. Ils font ainsi référence à la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques (CCNUCC), au Protocole de Kyoto et à l’Accord de Paris. L’Arabie Saoudite, la Corée du Sud ou encore l’Afrique du Sud comptent parmi les États qui citent explicitement le principe de lex specialis, exprimant la volonté de considérer ce régime comme autonome, ne devant pas être complété par d’autres branches du droit international.
En face, un groupe de près de soixante États appelle la Cour à adopter une approche intégrée, prenant appui sur l’ensemble du droit international. Parmi eux, certains plaident sans réserve pour une reconnaissance d’obligations juridiques élargies, fondées notamment sur le principe de prévention des dommages significatifs à l’environnement et la diligence requise, ainsi que sur le principe des responsabilités communes mais différenciées. Un autre groupe d’États, plus nombreux et issus de diverses régions, soutient une voie médiane. La France et la Suisse font toutes deux partie de ce groupe qui reconnait la possibilité de recourir à certaines normes du droit international mais insiste pour qu’elles restent compatibles avec l’esprit et la lettre de l’Accord de Paris, sans créer de nouvelles obligations substantielles.
De nombreux experts s‘accordent à considérer que l’Accord de Paris constitue un socle minimal et que les droits de l’homme doivent servir de boussole normative pour encadrer l’interprétation des obligations climatiques. Le droit à l’autodétermination, notamment pour les peuples autochtones et les États insulaires menacés de submersion, est particulièrement mis en avant, de même que les droits des générations futures et le droit à un environnement sain, dont la reconnaissance progresse dans la doctrine. La question des migrations climatiques est également évoquée dans certains exposés, comme relevant du champ des droits humains. Cette conception implique une portée extraterritoriale des obligations : les États devraient éviter que leurs émissions ne portent atteinte aux droits fondamentaux au-delà de leurs frontières.
Remarques conclusives
Dans son avis, la CIJ situe la question du changement climatique dans le contexte du droit international général. Elle souligne que le non-respect des obligations relatives à la protection du système climatique et d’autres composantes de l’environnement constitue un fait internationalement illicite engageant sa responsabilité. Les conséquences juridiques de ce fait internationalement illicite incluent "la cessation des actions ou omissions illicites", "la fourniture d’assurances et de garanties de non-répétition des actions ou omissions illicites" ou même "l’octroi d’une réparation intégrale aux États lésés sous forme de restitution, d’indemnisation et de satisfaction" sous réserve qu’un lien de causalité suffisamment direct et certain puisse être établi entre le fait illicite et le préjudice subi (p. 457).
La CIJ apporte également une réponse quant au statut du droit à un environnement propre, sain et durable en affirmant de manière implicite son statut coutumier. Dans la mesure où les États sont tenus de respecter les obligations affirmées dans les traités relatifs aux droits de l’homme, ils ont également le devoir "de veiller à ce que le droit à un environnement propre, sain et durable en tant que droit de l’homme soit protégé" car ce droit "est [...] inhérent à la jouissance des autres droits de l’homme" et il "est essentiel à la jouissance des autres droits de l’homme" (par. 393).
L’un des éléments innovants de l’avis de 2025 est la reconnaissance de l’application du principe de non-refoulement aux personnes déplacées à cause du changement climatique. À cet égard, en rappelant la jurisprudence du Comité des droits de l’homme de 2019, la Cour affirme que "les changements climatiques pourraient créer des conditions susceptibles de mettre en danger la vie d’individus qui pourraient devoir chercher refuge dans un autre pays ou se trouver empêchés de retourner dans le leur". Ainsi, selon la Cour, "les États ont des obligations découlant du principe de non-refoulement s’il existe des motifs sérieux de croire que le renvoi d’individus dans leur pays d’origine comporte un risque réel de préjudice irréparable au droit à la vie, en violation de l’article 6 du PIDCP" (par. 378).
Du fait de l’importance de l’avis de juillet 2025 dans la définition des obligations des États en matière de changement climatique, la carte interactive vise à être un outil de recherche à disposition des chercheurs et des praticiens, permettant d’identifier les différentes positions exprimées devant la CIJ au cours de sa procédure consultative.
Maxime Rousseau
Maxime Rousseau is an early-career international jurist holding a Master’s degree in Public International Law from the University of Paris 8. He completed a dissertation and internship on the legal protection of water resources in the context of coastal gentrification. He later trained in international freshwater law and collaborated with the Geneva Water Hub on a project related to the ICJ advisory proceedings on climate change.
Lei Hsin
Lei Hsin is a candidate for a Bachelor’s in International Relations and Environmental Science at Mount Holyoke College. Aspiring to become an environmental lawyer, she focuses on human rights and ecological protection in the green energy transition, with a thesis on cobalt mining in the DRC. She has contributed to environmental fieldwork in Kiribati and Indonesia and interns with Geneva Water Hub on mapping the ICJ climate advisory proceedings.
Mara Tignino
Dr. Mara Tignino is a Senior Lecturer at the Faculty of Law and the Global Studies Institute at the University of Geneva, along with being a Senior International Law Specialist for the Platform for International Water Law at the Geneva Water Hub. She has also served as a Visiting Professor at Renmin University of China, the University of Barcelona, Libera Università Internazionale degli Studi Sociali (LUISS), and the Catholic University of Lille. Additionally, she was a Visiting Scholar at the George Washington University Law School in Washington, DC. As an expert and legal advisor, she provides legal counsel to states and international organizations, leading training workshops across Africa, Asia, the Middle East, and South America. She is a member of the Coordinating Committee for the Interest Group of "International Organisations" within the European Society of International Law (ESIL) and previously co-chaired the Interest Group on Water with the Environmental Peacebuilding Association. Dr. Tignino earned her PhD in international law from the Graduate Institute of International and Development Studies in Geneva and holds an Habilitation à diriger des recherches (HDR) from the Faculty of Law at University Jean Moulin Lyon 3.