AirBiVal : Développement et optimisation de concepts hybrides de pompes à chaleur sur l'air pour des immeubles résidentiels collectifs
Effectué par CSD Ingénieurs SA, l’Université de Genève et les Services industriels de Genève (SIG), le projet AirBiVal se concentre sur le développement de concepts de pompes à chaleur sur l’air adaptés au marché de la rénovation d’immeubles résidentiels collectifs. Plus précisément, cette étude concerne les bâtiments équipés de chauffages à mazout ou à gaz impliquant une puissance thermique d’environ 50-100 kW, jusqu’à quelques centaines de kW thermiques.
Dans un premier temps, ce travail consiste à identifier les barrières actuelles à la mise en œuvre de pompes à chaleur sur l’air dans ce type de bâtiments. Puis, il s’agit d’analyser le fonctionnement en situation d’usage réel de deux sites pilotes pour lesquels le système de production de chaleur fossile a été remplacé, partiellement (système bivalent) ou entièrement (système monovalent), par un système de pompe à chaleur sur l’air. Ces analyses sont suivies par la mise au point de schémas hydrauliques visant à assurer l’intégration du système complet, l’efficacité et la fiabilité de l’installation. Afin d’évaluer les performances de tels systèmes dans différentes situations, des simulations numériques sont réalisées à partir d’un modèle calibré sur des mesures in situ.
Contexte
En Suisse, la majeure partie de la fourniture de chaleur (75%) est d’origine fossile, soit 40% de mazout, 33% de gaz naturel et 2% de charbon. De plus, l’énergie thermique des bâtiments représente 30% des émissions de CO2 du pays, dont les trois quarts sont liés au secteur résidentiel.
Par ailleurs, les maisons individuelles à usage exclusivement résidentiel représentent 57.4% du parc immobilier suisse (en nombre de bâtiments). Pourtant, la part de la population vivant dans celles-ci n’est que de 27.7%. Ainsi les besoins thermiques issus de près des trois quarts de la population nationale sont générés par des bâtiments multifamiliaux. Le potentiel de développement des énergies renouvelable réside donc en majorité dans les grands bâtiments locatifs puisque ce sont eux qui constituent la plus grande part des besoins thermiques des ménages suisses. Ainsi, une grande part du potentiel de réduction des émissions de gaz à effet de serre se situe dans les zones urbaines.
En zone urbaine, les gisements d’énergies renouvelables pour le chauffage de bâtiments collectifs sont le plus souvent très limités : distance à un lac ou à une rivière trop grande, absence de nappe phréatique ou interdiction d’utilisation (protection des eaux), pas de réseau de chauffage à distance à proximité raisonnable, chaudière à bois interdite en zone d’émission excessive, solaire restreint ou nul à cause de la protection des bâtiments. La seule source renouvelable disponible partout est l’air extérieur. Dans ce contexte, les pompes à chaleur sur l’air sont donc la technologie qui présente le plus fort potentiel pour moderniser les systèmes de chauffage existants et réduire les émissions de CO2 en zone urbaine.
Cependant, une part massive du marché des pompes à chaleur en Suisse se situe en-dessous de 20 kW, soit 81.2% des unités vendues en 2016. Cette gamme de puissance reflète le marché de l’habitat individuel. Au-delà de 50 kW, c’est-à-dire la tranche de puissance qui concerne les bâtiments multifamiliaux, les pompes à chaleur sont marginales dans le marché du chauffage alors qu’elles sont presque à parité avec les chaudières dans la gamme de puissance inférieure à 50 kW.
Barrières à l’application de pompes à chaleur dans les bâtiments multifamiliaux en Suisse
L’analyse des barrières à l’application des pompes à chaleur dans les bâtiments multifamiliaux en Suisse a montré que les contraintes sont à la fois techniques (capacité, acoustique, encombrement, statique, rendement) et commerciales (coût, démarches administratives). Lors de projets concrets, les ingénieurs se heurtent notamment au manque de disponibilité sur le marché de produits standards adaptés aux contraintes liées à l’application dans le contexte des bâtiments multifamiliaux.
Les deux principales barrières identifiées sont les suivantes : (i) une barrière technique liée à une lacune du marché pour des pompes à chaleur de puissance supérieure à 50 kW, silencieuses et faciles à intégrer aux bâtiments de type résidentiel collectif existants et (ii) une barrière commerciale due à la difficulté d’obtenir une offre de rénovation susceptible de plaire aux propriétaires, incluant l’ensemble des prestations et des procédures nécessaires au changement d’agent énergétique.
Retours d’expérience sur installations pilotes
Deux projets pilotes de pompes à chaleur sur l’air (immeubles de 53 et 68 appartements) ont été réalisés et analysés en conditions réelles d’usage. Les systèmes de ces deux sites alimentent en chauffage et en eau chaude sanitaire des bâtiments multifamiliaux n’ayant pas subi de rénovation de l’enveloppe, ni du système de distribution de chaleur.
Sur le premier site (projet "Daru"), le système de production de chaleur a été partiellement remplacé par 6 pompes à chaleur air-eau de type villa pour obtenir un système bivalent avec fonctionnement parallèle de la chaudière. Durant la dernière année du suivi, la production a été couverte à 67% par les pompes à chaleur avec un COP annuel de 2.3, auxiliaires inclus, et un COP global (PAC + chaudière) de 1.28. Cependant, avant d’en arriver là, plusieurs dysfonctionnements ont été identifiés et ont dû être corrigés. Sans les pannes des PAC survenues durant la période d’étude et avec un meilleur rendement de la chaudière (90% sur PCS au lieu de 69%), le COP global du système s’élèverait à 1.7 environ.
Fig. 1 : diagramme de flux du projet "Daru" pour la période du 1er juillet 2018 au 30 juin 2019 (kWh/m2/an).
Le second site pilote (projet "St-Julien"), anciennement chauffé par une chaudière à mazout, est à présent équipé d’un système monovalent comportant deux pompes à chaleur sur l’air de type industrielles. Durant la dernière année du suivi, le COP annuel s’élevait également à 2.3, auxiliaires inclus, sachant que les besoins d’eau chaude sanitaire représentaient près de la moitié des besoins de chaleur totaux. Tout comme le premier site pilote, des erreurs de fonctionnement ont été détectées lors de la première année du suivi et ont pu être en majeure partie rectifiées.
Fig. 2 : diagramme de flux du projet "St-Julien", du 1er juillet 2019 au 30 juin 2020 (en kWh/m2/an).
La plupart des dysfonctionnements observés sur les deux sites pilotes provenaient d’un paramétrage incorrect des appareils et ont pu être corrigés en optimisant la régulation du système. Il a cependant parfois été nécessaire d’apporter des modifications au circuit hydraulique.
Ces deux projets montrent que ce type de solution renouvelable est techniquement et économiquement réalisable dans des bâtiments multifamiliaux existants grâce à une ingénierie de qualité, ainsi que des efforts d’optimisation des coûts et un contracting énergétique qui ont permis de lever les barrières légales et financières. Ils mettent aussi en avant le fait qu’une attention particulière doit être portée à la conception du circuit hydraulique et à la régulation du système afin d’en assurer l’efficacité, la fiabilité et la pérennité, en particulier en cas de bivalence parallèle avec une chaudière. Il convient notamment de vérifier l’adéquation avec la conception à chacune des étapes du projet. De plus, l’utilisation dans le résidentiel collectif de pompes à chaleur conçues pour des villas ou pour des applications industrielles est possible bien que non-optimale. Une augmentation de l’offre de pompes à chaleur spécifiques à ce type d’application permettrait d’atteindre plus facilement des performances énergétiques élevées.
Schémas hydrauliques
La recherche de schémas hydrauliques existants dans le contexte des bâtiments multi-logements pour une production de chaleur bivalente avec pompe à chaleur sur l’air a été peu fructueuse. Elle a révélé qu’extrêmement peu de fournisseurs disposent aujourd’hui de schémas standard à proposer. La raison en est un manque évident de la demande du marché qui n’a pas induit le développement de ces schémas. Il existe des schémas créés pour un fonctionnement bivalent avec des pompes à chaleur, mais les puissances prévues ne vont que jusqu’à environ 15 kW.
Afin de combler cette lacune, quatre schémas hydrauliques ont été développés à partir d’une revue de la littérature ainsi que d’échanges avec des fournisseurs et avec le GSP (Groupement professionnel suisse pour les pompes à chaleur). Chaque schéma est accompagné d’une analyse fonctionnelle, élément clé pour l’exploitation des systèmes. Le but est d’obtenir des schémas garantissant un bon fonctionnement des équipements.
Les schémas hydrauliques élaborés correspondent aux principaux cas qui peuvent se présenter lors de la conception d’un système avec pompe à chaleur pour la production de chaleur et d’eau chaude sanitaire dans les bâtiments collectifs existants, à savoir :
- Fonctionnement pompe à chaleur monovalent : répond au cas où il est possible (techniquement et financièrement) d’installer une PAC permettant de couvrir 100% de la puissance nécessaire.
- Fonctionnement parallèle avec une chaudière modulante : répond au cas où une chaudière modulante existante ou neuve est utilisée.
- Fonctionnement parallèle avec une chaudière non-modulante : répond au cas où une chaudière existante qui ne module pas est utilisée.
- Fonctionnement alternatif avec une chaudière non-modulante : répond au cas où une chaudière existante qui ne module pas et qui sera déconnectée à terme est utilisée.
Les schémas sont conçus pour avoir une part couverte par la pompe à chaleur aussi élevée que possible afin de maximiser l’efficacité globale des systèmes. De plus, une attention particulière est portée au placement de la chaudière, afin que celle-ci ne perturbe pas le fonctionnement de la pompe à chaleur durant l’exploitation. Dans chaque cas, le système assure à la fois la production de chaleur pour le chauffage et pour l’eau chaude sanitaire.
Modélisation des systèmes : validation et analyse de sensibilité
Afin d’évaluer les performances des schémas hydrauliques proposés, de les comparer entre eux et d’émettre des recommandations, des modèles énergétiques ont été mis en place à l’aide du logiciel TRNSYS. Dans un premier temps, le système monovalent a été simulé selon le fonctionnement réel observé sur un des sites pilotes, puis il a été validé à partir de mesures in situ. Les résultats obtenus ont montré que le modèle permet de reproduire de manière fidèle le système réel. En effet, les flux entrants et sortants du système sont correctement reproduits avec une erreur annuelle de 3% au maximum, à l’exception de la consommation électrique de la pompe à chaleur (erreur de 19%). Les écarts observés sont principalement dû à (i) la difficulté de considérer dans la simulation tous les changements manuels apportés au système réel au cours de la période d’étude et (ii) à la divergence entre la performance du fabricant de la pompe à chaleur et les mesures. Malgré cela, les corrélations simulations/mesures restent satisfaisantes pour que le modèle serve de base pour le développement des modèles des autres systèmes.
Les trois autres schémas hydrauliques proposés ont alors été modélisés à partir du modèle monovalent validé, selon les analyses fonctionnelles établies. Les quatre systèmes ainsi obtenus ont servi de référence pour une étude de sensibilité portant sur trois paramètres principaux : (i) le niveau de demande de chauffage, c’est-à-dire des bâtiments d’époques de constructions différentes et/ou dont l’enveloppe a été rénovée, (ii) le niveau de demande d’eau chaude sanitaire et (iii) un éventuel sous- ou surdimensionnement de la pompe à chaleur, dans le cas des systèmes bivalents uniquement. Au total, 26 variantes ont été simulées.
Pour les différentes variantes étudiées, le COP annuel (COPa) de la pompe à chaleur obtenu varie entre 2.8 et 3.3 et le COP global du système, qui inclut les performances de la chaudière, est compris entre 1.5 et 2.9. Les émissions de gaz à effet de serre des systèmes monovalents sont de l’ordre de 50 gCO2eq par kWh de demande thermique, tandis que les systèmes bivalents atteignent dans la plupart des cas 80 à 100 gCO2eq/kWhtherm.
Fig. 3 : résultats de l'étude de sensibilité en termes d'émissions de CO2 (barres, axe de gauche) et de COPa de la PAC et de COP global (points, axe de droite).
Cette étude de sensibilité a montré que l’optimisation des performances de la pompe à chaleur est intéressante, mais que c’est l’efficacité globale du système qui est à considérer pour minimiser la consommation d’énergie et les émissions de gaz à effet de serre. De plus, avec le mix électrique suisse actuel, il semble plus avantageux de mettre en place un système monovalent que bivalent, malgré une certaine dégradation des performances de la pompe à chaleur en hiver. Un système bivalent peut cependant s’avérer être une alternative intéressante, bien que les émissions soient 1.4 à 2.2 fois plus élevées que pour un système monovalent. En effet, elles restent tout de même 2.3 à 3.5 fois plus faibles qu’un système comportant uniquement une chaudière. En particulier, les systèmes bivalents pourraient constituer une solution transitoire pour changer d’agent énergétique avant la rénovation de l’enveloppe du bâtiment.
En plus des problématiques de performances, l’aspect économique entre en jeu pour la prise de décision quant au système à installer. Celui-ci n’a pas été pris en compte dans cette étude, mais plusieurs éléments relatifs au dimensionnement de la pompe à chaleur, intimement liés à l’aspect économique, ont été soulevés. D’une part, les systèmes monovalents requièrent l’installation d’une pompe à chaleur 2 à 3 fois plus puissante que pour des systèmes bivalents dimensionnés de sorte à assurer 80% de la production avec la pompe à chaleur. Il semblerait cependant que la capacité de la pompe à chaleur en monovalent pourrait être fortement réduite en ayant recours à un simple appoint électrique pour les journées les plus froides. D’autre part, la capacité de la pompe à chaleur pourrait également être réduite dans le cas de certains systèmes bivalents en assurant une partie de la production d’eau chaude sanitaire avec la chaudière. La pompe à chaleur ne serait alors plus obligée de disposer de la capacité suffisante lors des jours les plus froids comme c’est le cas dans les schémas hydrauliques proposés dans cette étude.
Liens
Rapport complet :
Nicole Calame et al. AirBiVal : Développement et optimisation de concepts hybrides de pompes à chaleur sur l’air pour des immeubles résidentiels collectifs. 2021.
Omar Montero
Omar Montero a commencé son doctorat en 2020 au sein du Groupe systèmes énergétiques de l'Université de Genève. Ses recherches portent sur l'intégration des pompes à chaleur air-eau (> 50 kW) dans le parc immobilier existant. Il mène ses recherches dans le cadre du partenariat avec les Services industriels de Genève (SIG). Ingénieur chimiste de base, il a obtenu son Master en sciences de l'environnement à l'Université de Genève (option énergie).
Pauline Brischoux
Titulaire d'un diplôme d'ingénieur en Mécanique et d'un master (MScA) en Mécanique, Pauline Brischoux est adjointe scientifique au sein du Groupe systèmes énergétiques depuis 2019. Elle mène ses recherches à l'Université de Genève dans le domaine de l'efficacité énergétique et de l'intégration des énergies renouvelables, notamment sur les réseaux d'énergie urbains et les pompes à chaleur.
Simon Callegari
Titulaire du Master en sciences de l’environnement de l’Université de Genève, Simon Callegari est adjoint scientifique au sein du Groupe systèmes énergétiques depuis 2018. Il mène ses recherches dans le cadre du partenariat de recherche entre les Services industriels de Genève (SIG) et l'Université de Genève, dans le domaine de l'efficacité énergétique et de l'intégration des énergies renouvelables, particulièrement en ce qui concerne les pompes à chaleur.
Pierre Hollmuller
Pierre Hollmuller est chargé de cours à l'Université de Genève. Sa carrière de recherche et d'enseignement dans le domaine des systèmes énergétiques s'est développée au sein de diverses universités (Université de Genève, Universidade de Lisboa – Portugal, Universidade Federal de Santa Catarina – Brésil). En collaboration avec le Prof. Martin Patel, il gère depuis 2010 le Partenariat de recherche entre les Services industriels de Genève (SIG) et l'Université de Genève, dans le domaine de l'efficacité énergétique et de l'intégration des énergies renouvelables.