Comment évaluer l'efficacité de l'élimination des microplastiques et des nanoplastiques dans les filières de potabilisation d'eau ?

Omniprésent, utilisé massivement et sans modération depuis de nombreuses années, le plastique a fini par envahir notre planète. Chaque année des millions de tonnes de déchets plastiques terminent leurs parcours dans tous les compartiments de l'environnement. Nous sommes actuellement confrontés à des quantités sans précédent de plastique non seulement dans l'eau, l'air, les sols mais aussi dans notre alimentation y compris dans l'eau que nous consommons ou celle qui sert à la produire !

Les plastiques sont des objets certes résistants, mais néanmoins, avec le temps, ils finissent par se dégrader en petits fragments ou fibres sous l'effet de l'érosion, de la photodégradation, de la thermodégradation et de la biodégradation pour former des particules invisibles à l'œil nu. Ces fragments et fibres plastiques sont appelés microplastiques quand leurs dimensions sont comprises entre 5 millimètres et 1 micromètre, et nanoplastiques quand leurs dimensions sont comprises entre 1 micromètre et 1 nanomètre. La taille de ces fragments et fibres plastiques peut donc varier du millimètre (10-3 m) au nanomètre (10-9 m) !

En raison de leurs tailles, fragments et fibres peuvent ainsi aisément contaminer nos ressources en eaux et s'accumuler dans la chaîne alimentaire, y relarguer des composés potentiellement nocifs, y véhiculer et disperser des produits chimiques et certains micro-organismes. Leurs effets précis sur la santé humaine restent encore difficiles à évaluer mais le risque ne peut être exclu à travers des processus physiques, chimiques et microbiologiques complexes, qui peuvent entraîner, notamment pour les nanoplastiques, un stress oxydatif, des dommages cellulaires, des réponses inflammatoires et immunologiques, une neurotoxicité et des problèmes métaboliques.

Considérés comme un réceptacle important, les eaux de surface reçoivent chaque année des quantités importantes de microplastiques, mettant en danger non seulement le fonctionnement de ces systèmes mais aussi la qualité de nos ressources en eaux nécessaires à la production d'eau potable. Il a déjà été établi que de nombreux lacs et rivières indispensables aux activités humaines sont significativement contaminés par des microplastiques. Cette situation soulève aujourd'hui des inquiétudes quant à l'efficacité des systèmes de potabilisation face à la présence de micro- et nanoplastiques. La contamination globale des ressources en eau et la possible contamination de l'eau potable par des microplastiques ou nanoplastiques constitue une problématique majeure et d'actualité à laquelle des réponses claires doivent être apportées.

Dans ce contexte, deux études menées en collaboration entre les Services industriels de Genève (SIG) et l'Université de Genève ont permis d'évaluer l'efficacité d'élimination des microplastiques et nanoplastiques de la principale station de potabilisation du canton de Genève. Cette station fournit de l'eau potable à 500'000 consommateurs.

Pour les microplastiques (Negrete Velasco et al., 2022), de grands volumes d'eau suffisamment significatifs ont été échantillonnés et analysés. Un protocole de prélèvement et d'analyses a été spécialement développé et la détection chimique des microplastiques a été réalisée par microscopie infrarouge. Cette étude a montré que les concentrations en microplastiques dans l'eau brute (eau du Léman) varient de 26 à 56 fragments/m3 et dans l'eau traitée de 0 à 4 fragments/m3. Les résultats sont plutôt rassurants et montrent en moyenne que 70% des microplastiques sont retenus lors de la coagulation/filtration sur sable et que l'élimination totale atteint 97% dans l'eau en sortie de station. La concentration en fibres synthétiques est faible avec une valeur moyenne de 2 fibres synthétiques/m3 et constante à toutes les étapes du traitement de l'eau. La composition chimique des microplastiques et des fibres synthétiques est plus hétérogène dans l'eau brute qu'après la filtration sur sable et dans l'eau traitée, ce qui indique la persistance de certains types de plastiques comme le polyéthylène (PE) et le polyéthylène téréphtalate (PET) dans la chaîne de traitement de l'eau.

Pour les nanoplastiques, les résultats obtenus sur du polystyrène (Ramirez Arenas et al., 2022) montrent que les systèmes de filtration en absence de coagulation permettent d'obtenir une élimination globale des nanoplastiques de 88 %. En revanche, le processus de coagulation améliore considérablement l'efficacité d'élimination des nanoplastiques avec une efficacité d'élimination globale égale à 99 %. L'efficacité d'élimination effective de la coagulation-filtration sur sable augmente considérablement de 54 % à 99 % en présence de coagulant, ce qui indique que les nanoplastiques sont principalement éliminés pendant le processus de filtration sur sable à travers la formation d'agrégats via la coagulation.

Ces études réalisées en collaboration avec les Services industriels de Genève indiquent une efficacité d'élimination significative des fragments et des fibres microplastiques avec des concentrations faibles, de quelques unités par mètre cube d'eau produite, en sortie de filière de potabilisation d'eau. Pour les nanoplastiques, là aussi, les résultats se montrent rassurants avec une efficacité d'élimination élevée dans le cadre d'une filière de potabilisation conventionnelle. Si ces résultats pour la filière de potabilisation se montrent rassurants, il est important de mettre en place un système de mesure et contrôle régulier et d'étendre ces études à d'autres filières de potabilisation non conventionnelles. Se pose désormais la question de l'impact du réseau de distribution qui achemine via des milliers de kilomètres, dans des conduites souvent en matériaux plastiques, l'eau potable jusqu'à nos robinets.

Références

Negrete Velasco A., Ramseier Gentile S., Zimmermann S., Le Coustumer P., Stoll S. (2023). "Contamination and removal efficiency of microplastics and synthetic fibres in a conventional drinking water treatment plant in Geneva, Switzerland", Science of The Total Environment 880 (July): 163270. doi.org/10.1016/j.scitotenv.2023.163270

Ramírez Arenas A., Ramseier Gentile S., Zimmermann S., Stoll S. (2022). "Fate and removal efficiency of polystyrene nanoplastics in a pilot drinking water treatment plant", Science of The Total Environment 813 (March): 152623. doi.org/10.1016/j.scitotenv.2021.152623

Angel Negrete Velasco

Angel Negrete Velasco

Angel Negrete Velasco est assistant-doctorant au Département F.-A. Forel et à l'Institut des sciences de l'environnement de l'Université de Genève depuis janvier 2020. Son doctorat porte sur la détection, la quantification et la caractérisation des microplastiques dans le secteur du traitement de l'eau potable. Il a obtenu un Master en sciences de l'environnement à l'Université de Genève, après un Bachelor en ingénierie civile à l'Université nationale autonome du Mexique.

www.unige.ch/phychimenv/equipe/angel-negrete-velasco

Serge Stoll

Serge Stoll

Serge Stoll, maître d'enseignement et de recherche à l'Université de Genève, est responsable d'un groupe de recherche en physicochimie environnementale. Il participe activement à de nombreux enseignements dans le domaine des sciences de l'environnement, allant de la chimie aquatique à la chimie de l'atmosphère en passant par la gestion des ressources en eau et le traitement de l'eau. Il supervise également de nombreux projets de recherche en lien avec la pollution plastique et le traitement de l'eau.

www.unige.ch/phychimenv/equipe/serge-stoll

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