25% des émissions planétaires sous la coupe de gouvernements climatosceptiques

En ce début de seconde semaine clé pour la COP24 et le programme de travail de l’Accord de Paris, alors que les groupes techniques viennent de transmettre leurs projets de résolution aux négociateurs politiques, ce sont bien des jours déterminants pour les négociations internationales climatiques qui s'annoncent.

Le contexte géopolitique international très tourmenté au sein des grandes puissances et des pays émergents se traduit par une perte de leadership global sur la question climatique. Angela Merkel d’abord affaiblie est en voie de sortie après plus de vingt ans passés à porter la cause. La Grande-Bretagne est engluée dans le Brexit et la France dans la crise des gilets jaunes qui a éclaté justement sur des enjeux de justice environnementale et climatique. Et les États-Unis, qui ont annoncé leur retrait de l’Accord de Paris en 2017, viennent d’être rejoints par le Brésil dans le cortège des gouvernements partiellement ou totalement climato-sceptiques.

Jusqu’au milieu des années 2010, la grille de lecture principale pour comprendre les grandes lignes de faille des négociations climatiques internationales était l’approche par les grands intérêts nationaux, ceux des pays les plus émetteurs, ceux des plus vulnérables, voire ceux des bénéficiaires de la lutte contre le changement climatique (technologies vertes, assurances, nucléaire). Les perspectives transnationales pouvaient permettre de nuancer cette grille en soulignant le poids des organisations non gouvernementales et internationales ou encore de la science dans les nécessaires avancées des négociations.

Le nouveau contexte géopolitique international ouvre une perspective inédite qui se place sur le plan cognitif, qui ne porte pas sur les intérêts mais sur les idées. La ligne de faille n’est plus seulement orientée autour de l’intensité avec laquelle les États veulent s’engager dans la lutte contre le changement climatique, mais plus encore autour de la croyance même des plus hauts dirigeants dans la responsabilité humaine du changement climatique et dans la légitimité même de la lutte.

La carte suivante présente les gouvernements climato-sceptiques selon trois catégories. Celle en rouge dont les chefs d’État nient clairement la responsabilité humaine dans le changement climatique. Celle en jaune dont une partie de la majorité est climato-sceptique, sans emporter l’adhésion de la totalité d’un gouvernement. Celle en orange dont les propos des dirigeants sont modérément climato-sceptiques et nient l’urgence voire la nécessité même de s’engager dans la lutte.

Source : Institut des Sciences de l’Environnement, UNIGE

On observe que ces trois catégories additionnées représentent plus de 25% des émissions planétaires. On observe également sur la seconde carte que cela se traduit par une non ratification ou par des processus de retrait de l’Accord de Paris qui ouvre une brèche importante dans l’objectif d’universalité et de couverture intégrale des émissions de gaz à effet de serre par l’accord.

Source : Institut des Sciences de l’Environnement, UNIGE

En clôture de la première semaine de la COP24, les États-Unis, la Russie, l’Arabie Saoudite et le Koweit ont demandé que le rapport du GIEC sur un monde à +1,5°c ne soit pas “salué” par les décideurs mais que l’on en “prenne note” simplement, provoquant un véritable tollé parmi les représentants de la communauté scientifique. Cet émoi montre que la fracture cognitive autour du changement climatique et sa négation a des effets immédiats jusqu’au cœur des négociations environnementales.

Face à ce constat, plusieurs voies alternatives sont à souligner car elles nuancent l’importance de la fracture et le pessimisme qui pourrait en résulter :

  • 75% des émissions sont encore couvertes par des pays qui ont ratifiés l’accord de Paris et pour lesquels l’enjeu est de s’accorder sur le niveau de réduction des émissions, ce qui laisse une capacité d’action importante dans les mains des parties ;

  • au sein des États-Unis ou des États les plus réfractaires, des acteurs sub-nationaux s’engagent dans des efforts sans précédents qui résonnent avec ceux des grandes villes ou régions du monde qui promeuvent des actions à la pointe des innovations en termes de décarbonisation. Ces initiatives ont été saluées par les Nations Unies dans le cadre de son Emission Gap Report qui a bien identifié tout le potentiel qu’elles offrent dans l’atteinte des objectifs ;

  • le lobbying des acteurs scientifiques, des ONG et des organisations internationales ou de la société civile représente un important contre-pouvoir qui vient former une coalition radicalement opposée à celle des sceptiques. Ces organisations occupent le terrain de la COP avec vigilance et jouent un rôle d’alerte en temps réel.

Ici à Katowice, les négociateurs, les acteurs et les observateurs discutent des instruments, poussent en faveur des engagements les plus ambitieux, mais se mobilisent dans un combat d’idées des plus intenses entre des coalitions de causes aux fronts de plus en plus marqués.

Géraldine Pflieger

Géraldine Pflieger

Prof. Géraldine Pflieger is the Director of the Institute for Environmental Sciences (ISE) at the University of Geneva, where she also is a Professor of urban and environmental studies. Her current research focuses on the regulation of shared natural resources (mainly water and land) – at the international, regional and local scales – as well as the transformation of the governance of urban spaces in the face of the major contemporary infrastructural and environmental challenges (for example the links between transport and land-use or between urbanization and resource consumption). Together with Professor Christian Bréthaut, she holds the UNESCO Chair in Hydropolitics at UNIGE.

https://www.unige.ch/gedt/membres/geraldine-pflieger/

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