Jumeaux climatiques
L’année 2017 a été l’année la plus chaude jamais enregistrée, hors El Niño, confirmant ainsi la tendance de fond du réchauffement climatique depuis le début du XXe siècle. Les politiques se mobilisant en faveur du climat – notamment à travers l’accord de Paris –, des approches scientifiques innovantes et multidisciplinaires sont nécessaires afin de traduire les données brutes des modèles climatiques en informations compréhensibles et exploitables par les praticiens et décideurs impliqués dans la conception des plans d’adaptation.
"Les températures actuelles de Genève dépassent maintenant les températures de Toulouse dans les années 1950."
L’approche dite des jumeaux climatiques – aussi fréquemment appelée climate twins – fait partie de ces méthodes multidisciplinaires et novatrices. Cette approche, basée sur une analyse statistique de nombreuses variables climatiques, permet de lier le climat actuel d’une zone géographique avec le climat futur (ou passé) d’une autre.
Cette approche a été introduite pour la première fois au sein de l’Institut des Sciences de l’Environnement de l’Université de Genève par le Professeur Martin Beniston, qui a utilisé cette méthode pour étudier la vitesse de l’augmentation des températures en Europe dans la deuxième moitié du XXe siècle. En liant le climat passé (1950) de certaines zones avec le climat actuel (2010) d’autres zones, cette recherche a montré que les régimes de température se sont déplacés de 300 à 500 km vers le Nord en un demi-siècle. De manière concrète, cela implique par exemple que les températures actuelles de Genève dépassent maintenant les températures de Toulouse dans les années 1950, témoignant ainsi de la rapidité et de l’intensité du changement climatique lors des dernières décennies.
Dans la continuité de ces travaux, Guillaume Rohat et Stéphane Goyette, respectivement doctorant et chercheur au sein de l’Institut, ont récemment utilisé l’approche des jumeaux climatiques pour étudier la vitesse et l’orientation du déplacement du climat de 100 villes Européennes, de 1950 à 2100. Les résultats de cette étude ont montré que le climat des villes se déplace systématiquement vers le Sud de l’Europe, vers des zones plus chaudes et généralement plus sèches. Ce déplacement s’effectue deux fois plus vite à la fin du XXIe siècle que lors du milieu du XXe siècle, pouvant ainsi atteindre des vitesses de plus de 38 km par année. À une telle cadence, le climat de Berlin à la fin du XXIe siècle sera équivalent au climat actuel du Nord de l’Espagne.
À l’évidence, les implications de ce déplacement accéléré du climat sont nombreuses et bien souvent négatives, tant pour les écosystèmes que pour nos sociétés, comme par exemple l’augmentation de la fréquence et de l’intensité des vagues de chaleur et sécheresses. L’atout majeur de l’approche des jumeaux climatiques réside dans son applicabilité en tant qu’outil de sensibilisation du public au changement climatique et d’outil d’aide à la décision pour les acteurs locaux. Afin de mettre l’accent sur ces deux utilisations de cette approche, Guillaume Rohat et Stéphane Goyette – avec l’appui de Johannes Flacke de l’Université de Twente aux Pays-Bas – sont parvenus à identifier 39 paires de villes jumelles climatiques en Europe, c’est-à-dire des couples au sein desquels le climat actuel d’une ville est similaire au climat futur de l’autre (voir quelques exemples sur le tableau ci-contre).
Futur climat de... = Actuel climat de... | |
---|---|
Amsterdam | Nantes |
Bruxelles | Bordeaux |
Edinburgh | Londres |
Hambourg | Toulouse |
Ljubljana | Athènes |
Luxembourg | Saragosse |
Milan | Adana |
Nice | Naples |
Nuremberg | Marseille |
Prague | Bologne |
Stockholm | Berlin |
Stuttgart | Valladolid |
En se basant sur le cas du couple Hambourg-Toulouse, pour lequel le climat futur d’Hambourg sera équivalent au climat actuel de Toulouse, ces chercheurs expliquent que les habitants d’Hambourg, ayant pour la majorité connaissance du climat actuel de Toulouse, peuvent ainsi immédiatement imaginer le climat futur de leur ville et réaliser l’ampleur des impacts climatiques à venir. Dans une logique similaire, les décideurs et praticiens de la ville d’Hambourg, prenant connaissances des plans et mesures d’adaptation actuellement en place à Toulouse, peuvent aisément identifier les aménagements à prévoir afin de se préparer aux futurs impacts climatiques, comme les vagues de chaleur et le stress hydrique. Novatrice et facile d’utilisation, cette approche a été récemment utilisée par le Service Environnement de la ville de Ludwigsbourg (située dans le Sud de l’Allemagne) pour définir des stratégies d’adaptation face au changement climatique, s’appuyant sur le fait que le climat futur de cette ville sera similaire au climat actuel de Saragosse, en Espagne.
Et en Suisse?
Loin d’être uniquement cantonnée à l’adaptation des ville face au changement climatique, l’approche des jumeaux climatiques peut aussi se révéler très utile dans les domaines de l’agriculture ou de la foresterie, principalement pour déterminer quelles semences et essences d’arbres doivent être plantées, en se basant sur celles actuellement cultivées dans la zone climatique jumelle. Une telle utilisation de cette approche est actuellement explorée au sein de l’Institut en collaboration avec Martin Schlaepfer, chercheur et coordinateur du projet GE-21. Cette étude exploratoire en cours vise à déterminer et utiliser les jumeaux climatiques de Genève – en incluant des paramètres pédologiques – pour déterminer quelles essences d’arbre devraient être plantées à Genève aujourd’hui pour être adaptées au climat de demain. D’autres recherches sont aussi actuellement en cours au sein de l’Institut – principalement dans le cadre d’un mémoire de recherche du Master en Sciences de l’Environnement, supervisé par Stéphane Goyette et le Professeur Jérôme Kasparian – afin d’améliorer la méthode permettant de lier différents climats entre eux, de systématiser cette approche pour toutes les zones de l’Europe, et d’étudier l’influence de différentes stratégies d’atténuation (via l’utilisation de scénarios climatiques) sur les vitesses de déplacement des zones climatiques en Europe.
Guillaume Rohat
Guillaume Rohat est actuellement assistant de recherche et doctorant au sein du Pôle de la Gouvernance de l’Environnement et du Développement Territorial de l’Institut des Sciences de l’Environnement. Dans le cadre de sa thèse, réalisée en co-tutelle avec la Faculté de Géo-Information et d’Observation de la Terre de l’Université de Twente (Pays-Bas), il s’attelle à quantifier l’influence des changements socioéconomiques sur les futurs risques climatiques en milieux urbains. Ses recherches portent aussi sur l’utilisation des climats analogues comme outil d’évaluation de la vitesse du changement climatique et outil de communication auprès du public.
https://www.unige.ch/gedt/membres/guillaume-rohat/