Bertrand von Arx,
Benjamin Guinaudeau,
Erica Honeck,
Anthony Lehmann,
Arthur Sanguet,
Nicolas Wyler

Élaboration du concept d’infrastructure écologique à Genève, en Suisse et en Europe

Introduction

La Confédération, et le Canton de Genève en février 20181, se sont dotés d'une Stratégie sur la Biodiversité qui vise à renforcer la mise en œuvre des lois nationale et cantonale pour la conservation de la biodiversité (Stratégie Biodiversité Genève 2030, 2018). Il s’agit de mettre en place des mesures classiques (aires protégées, Listes Rouges, surfaces de promotion de la biodiversité, etc.), mais également de mieux informer tous les secteurs d'activité sur l'importance des services que la biodiversité et les écosystèmes rendent au maintien et à l'amélioration de notre bien-être et souvent de notre économie.

Dans ce contexte, l'infrastructure écologique est promue aux échelles suisse2 et cantonale afin de connecter des habitats naturels et semi-naturels importants pour la biodiversité et les services écosystémiques. Ce réseau d’aires multifonctionnelles inclura également les zones protégées existantes. Le canton de Genève développe depuis deux ans un concept original dans le cadre d'une collaboration entre les services cantonaux en charge de la Biodiversité (DGAN), les Conservatoire et Jardin Botaniques (CJB), l'Université de Genève (UNIGE) et les Hautes Écoles Spécialisées (HES). Ce concept a été testé avec plusieurs travaux préliminaires et il doit maintenant être déployé au niveau opérationnel pour répondre à la nouvelle Stratégie Biodiversité du canton et à son futur plan d'action.

Ce concept vise à intégrer dans une infrastructure écologique plusieurs objectifs de conservation de manière explicite et pondérée, selon quatre piliers : la valeur botanique (biodiversité), les services écosystémiques, la structure des écosystèmes et la connectivité écologique pour la faune (Liquete et al., 2015 ; Seidl et al., 2012). Dans cette optique, deux thèses en doctorat ont pour objectif d’évaluer les outils permettant l’étude et la mise en place d’une telle infrastructure sur le Canton de Genève, en Suisse et au niveau européen. L’approche de ces travaux se base sur l’évaluation spatiale des quatre piliers cités précédemment et, dans un second temps, sur la proposition d’infrastructure écologique sur la base de la priorisation des éléments du paysage en fonction de leurs valeurs indicatrices (Figure 1).


Figure 1 – Les quatre piliers du concept d’infrastructure écologique proposé

Biodiversité, ou comment maintenir la faune et la flore locale ?

Les récentes évaluations des grands groupes d’organismes présents en Suisse montrent des chiffres inquiétants : 32% des champignons supérieurs, 40% des oiseaux nicheurs, 41% des mollusques et 28% des plantes vasculaires sont aujourd’hui menacés (Listes Rouges OFEV, respectivement 2007, 2010, 2012, 2016). Il est donc essentiel de prendre en compte la biodiversité dans la mise en place de l’infrastructure écologique afin de l’évaluer et la conserver dans un contexte d'urbanisation grandissante et de changement climatique.

Le nombre d’espèces présentes n’est pas à lui seul un indicateur suffisant pour évaluer la biodiversité (Hillebrand et al., 2017). En effet, la naturalisation de plantes exotiques augmente la richesse spécifique sans pour autant avoir un impact positif sur les espèces locales qu’elles peuvent à terme remplacer (principe d’exclusion compétitive). Dans ce travail, nous prenons en compte la richesse spécifique, la provenance naturelle des espèces (exogènes ou non), leur impact écologique (espèce parapluie importante pour le fonctionnement de l’écosystème, envahissante), leur endémisme (à l’échelle nationale), ainsi que leur rareté (à différentes échelles).

Grâce à une carte précise des habitats naturels du canton (DGAN/CJB), des occurrences des différentes espèces (Info Flora) et des données climatiques et topographiques disponibles, nous pouvons modéliser la distribution potentielle des espèces et identifier les zones prioritaires qui concentrent la biodiversité (core area, ou zone nodale de biodiversité) (Figure 2).


Figure 2 – Indice de biodiversité estimée pour chaque milieu de Genève (Guinaudeau, projet GE21, 2018)

Services écosystémiques, ou comment prendre conscience des bienfaits de la biodiversité ?

De la pollinisation au stockage de carbone, de la prévention de l’érosion aux loisirs d’extérieurs, les écosystèmes procurent de nombreux bénéfices au bien-être humain, appelés "services écosystémiques". Ceux-ci sont généralement classés en trois catégories : les services d’approvisionnement (production d’eau et de nourriture), les services de régulation (cycle des nutriments, rétention d’eau lors de crues) et les services culturels (beauté d’un paysage, spiritualité, promenades).

Comme pour la biodiversité, cartographier les services écosystémiques d’un paysage permet d’identifier les zones qui procurent des services importants pour la société et qui devraient être préservés. Or, la provision par les aires naturelles et la demande (utilisation par l’Homme) de ces services ne se trouvent pas forcément aux mêmes endroits, et il faut donc cartographier les flux entre zones productrices et consommatrices (Verhagen et al., 2017).

Les services écosystémiques peuvent être cartographiés en utilisant des indicateurs ou des outils de modélisation avec des données biophysiques, topographiques et satellitaires (Erhard et al., 2016) et à partir de la carte des Habitats Naturels du Canton de Genève.

Une image contenant texte, carte

Description générée avec un niveau de confiance très élevé
Figure 3 – Densité des principaux services écosystémiques cartographiés sur le canton de Genève (Guinaudeau, projet GE21, 2018)

Structure, ou comment les éléments du paysage sont-ils organisés ?

La structure du paysage joue un rôle important dans la qualité des habitats et donc de leur capacité à accueillir la biodiversité et à fournir des services écosystémiques. En se basant sur la connaissance de l’utilisation du sol et des habitats du canton de Genève, nous pouvons identifier les habitats naturels et semi-naturels favorables, ainsi que les zones défavorables ne permettant pas la pérennité de populations animales et végétales sauvages (Dondina et al., 2017). Dans cette dernière catégorie se trouvent les éléments du paysage pour lesquels la pression anthropique est forte : villes, infrastructure routière et zones agricoles intensives. Ces éléments forment l’infrastructure grise, en opposition à l’infrastructure écologique ou verte que nous définissons.

Une fois les éléments du paysage identifiés, nous pouvons calculer un indice de fragmentation des habitats favorables. Plus les habitats sont fragmentés, plus l’effet de lisière est grand, et plus la proportion des habitats favorables est réduite (Ibáñez et al., 2014). Ainsi, pour lutter contre ce phénomène et garder des zones naturelles de qualité, il est nécessaire de connecter les habitats entre eux grâce à la préservation de corridors, réduisant ainsi la fragmentation du paysage (Figure 4).