La rénovation énergétique des bâtiments sous la loupe

Introduction

L’assainissement des bâtiments permet d’améliorer significativement leur consommation énergétique. Toutefois, les économies réalisées restent souvent inférieures à celles qui étaient prévues. Une équipe de chercheurs de l’Université de Genève a étudié la mesure et les causes de cet écart de performance, sur la base de 26 bâtiments d’après-guerre ayant récemment subi une rénovation. Ce projet a permis d’émettre des recommandations sur la manière d’exploiter plus efficacement à l’avenir le potentiel énergétique des assainissements.

L’étude en question s’intéresse à la rénovation énergétique d’immeubles d’habitation collectifs construits après-guerre, dans une perspective d’identification des pratiques actuelles et de leur amélioration possible. En cela elle s’inscrit dans l’accompagnement à la mise en œuvre de la Stratégie Énergétique 2050.

L’étude est fondée sur l’analyse comparative d’un ensemble représentatif de grands immeubles d’habitation collectifs construits après-guerre, majoritairement au cours des années soixante, et rénovés depuis 2005 à Genève (rénovation globale ou par étapes de l’enveloppe thermique, avec ou sans la rénovation des systèmes techniques). Au total, l’échantillon est composé de 26 opérations, regroupant plus de 3'000 logements et totalisant une surface de référence énergétique d’environ 285'000 m2. Avant rénovation, ces bâtiments étaient entièrement dépendant des énergies fossiles et consommaient en moyenne pour le chauffage et l’ECS (Ehww) plus de 600 MJ/m2 par an.


Bâtiments analysés

Performances réelles des rénovations

L’évolution de la performance réelle énergétique et environnementale des bâtiments avant et après rénovation a été évaluée à l’aide des indicateurs de performance suivants :

  • L’énergie finale pour le chauffage et l’ECS est passée en moyenne de 644 à 465 MJ/m2, soit une baisse moyenne de 179 MJ/m2 (économies relatives de 29% en moyenne, tous types de travaux confondus) ;
  • L’intensité en carbone des agents énergétiques est passée de 260 à 200 gCO2éq/kWh ;
  • Les émissions annuelles de carbone liées à l’exploitation ont baissé en moyenne de 46 à 27 kg CO2/m2. Les émissions évitées sont en moyenne de 19 kg CO2/m2 (baisse relative de 41%, tous types de travaux confondus) ;
  • La consommation électrique totale des bâtiments a baissé en moyenne de 6.3% entre avant et après les travaux, passant de 36.5 à 34.3 kWh/m2. Cette baisse s’inscrit dans la tendance générale observée au niveau cantonal.

Ces résultats ont été comparés à la performance moyenne du parc résidentiel collectif genevois et aux objectifs de réduction à l’horizon 2035 et 2050 du secteur résidentiel suisse selon le scénario NPE de la Stratégie Énergétique 2050. Il ressort de cette analyse que seules les rénovations à très haute performance énergétique (Minergie-P) se rapprochent aujourd’hui des objectifs fixés, nécessitant à la fois de moins et mieux consommer.

Écarts de performance énergétique

Dans un deuxième temps, la performance énergétique des rénovations en conditions réelles d’utilisation et d’exploitation a été comparée avec la performance prévue des projets, calculée en conditions standard d’utilisation selon la norme SIA 380/1. Afin de caractériser l’écart de performance des rénovations énergétiques, nous nous sommes concentrés sur les 10 opérations faisant l’objet d’un justificatif thermique par performance globale, sans création de surfaces habitables supplémentaires (surélévation), pour lesquelles des relevés de consommation étaient disponibles sur une moyenne sur 3 ans, avant et après rénovation.


Demande de chauffage réelle avant et après rénovation, ainsi que demande prévue selon la norme SIA 380/1

Avant rénovation, la demande réelle de chauffage (Qh) de ces bâtiments variait entre 708 et 332 MJ/m2. Par comparaison avec la valeur annoncée dans les justificatifs thermiques, l’économie de chauffage prévue/théorique liée à la rénovation varie entre 140 et 560 MJ/m2. Cependant, dans la réalité la part réalisée de cette économie n’atteint, selon les cas, que 29% à 65% de l’objectif, mettant en lumière un important écart de performance.

Il ressort de cette analyse que plus l’économie théorique est importante, plus la part effectivement réalisée de cette économie est élevée. Ainsi, en visant des économies théoriques de l’ordre de 550 MJ/m2, les économies réalisées s’élèvent à près de 365 MJ/m2, soit une part mobilisée d’environ 65%. Cette part baisse à 35% en visant des économies théoriques de l’ordre de 200 MJ/m2 (observées dans les cas de rénovations partielles, souvent réalisées sans réglage des installations de chauffage).

Par ailleurs, il existe pour cet échantillon une relation statistiquement assez robuste entre les économies de chauffage théoriques et réalisées. À condition d’être corroborée par des exemples supplémentaires, cette relation peut être vue comme une signature des pratiques de rénovation actuelle, incluant l’ensemble du processus de rénovation, depuis l’étape de conception (choix des solutions d’amélioration énergétique et usage des logiciels de simulation), jusqu’à l’usage des bâtiments par les occupants et les gestionnaires de l’énergie.

On déduit de cette signature que si l’on généralisait les pratiques actuelles de rénovation à l’ensemble du parc genevois de bâtiments résidentiels collectifs d’après-guerre, à peine la moitié (42%) du potentiel théorique d’économie de chauffage de ces bâtiments pourrait être atteinte en réalité. Des résultats similaires (46% et 48%) ont été obtenus respectivement en appliquant cette relation à l’ensemble du parc résidentiel suisse et à la totalité du parc immobilier national (toutes catégories confondues).

Facteurs explicatifs de l’écart de performance

Afin de mieux comprendre les raisons de l’écart de performance observé plus haut, nous avons analysé l’effet de l’utilisation des valeurs standard de la norme SIA 380/1 dans le calcul des besoins de chauffage théoriques, par rapport aux valeurs moyennes réelles observées sur l’échantillon. En complément, la sensibilité aux possibles erreurs d’estimation ou d’entrée dans les simulations (choix de la météo, type de régulation, facteur d’ombrage et incertitude sur le calcul de la surface énergétique) a été étudiée. Enfin, d’autres facteurs pouvant influencer la performance énergétique durant la phase de réalisation des travaux et d’exploitation du bâtiment sont discutés.

En un premier temps, l’analyse de sensibilité aux divers paramètres de calcul est effectuée sur 20 opérations de notre échantillon, en utilisant les données constructives figurant dans les dossiers de demande d’autorisation. Sur les 10 paramètres analysés, il s’avère que les deux paramètres les plus déterminants pour l’écart entre demande de chauffage normée et réelle sont la température intérieure et le débit d'air neuf :

  • La température intérieure moyenne de 23°C (mesurée avec un pas de temps horaire durant toute la période de chauffage dans six bâtiments rénovés) dépasse largement la valeur standard de 20°C. En moyenne, cela entraine une augmentation de la demande de chauffage de plus de 30% (soit 11% par degré supplémentaire).
  • De même, les débits d’air neuf directs mesurés à l’extraction de la ventilation mécanique s’élèvent en moyenne à 1 m3/m2.h durant la période de chauffage (sans considérer la récupération de chaleur, dans les cas où elle existe), et à 1.5 m3/m2.h si l’on considère le débit d’air indirect résultant des ouvertures des fenêtres (valeur estimée par les experts), soit largement plus que la valeur standard de 0.7 m3/m2.h de la norme SIA 380/1. En moyenne, de telles hausses de débit entrainent une hausse de la demande de chauffage de 25 à 70 MJ/m2 (soit une hausse de 17 MJ/m2 par 0.2 m3/m2.h).

En deuxième temps, nous combinons la variation de ces paramètres afin de décomposer l’écart de performance caractérisé plus haut. Cette analyse est faite pour 4 des 10 opérations de rénovation analysées, qui représentent bien la dispersion d’économies théoriques observées.


Décomposition de l’écart de performance dans la rénovation en (1) potentiel d’optimisation et (2) différence entre les conditions d’utilisation standard et optimales

Il résulte de ces simulations que le passage du scénario de référence (20°C, 0.7 m3/m2.h) à des scénarios en usage réel (23-24°C, 1.3-1.5 m3/m2.h) permet dans chaque cas d’expliquer l’écart de performance. Ce dernier peut finalement être divisé en deux parties :

  • Le potentiel d’optimisation, qui correspond à la différence entre les conditions réelles d’utilisation (sans optimisation) et des conditions d’utilisation optimales/réalistes (par exemple : température moyenne des logements de 21°C et débit d’air neuf de 1.1 m3/m2.h, dans le cas d’un bâtiment rénové et optimisé énergétiquement).
  • La différence entre ces conditions optimales et les conditions normées de la norme SIA, jugées souvent trop optimistes (par ex. la différence entre 21°C et 20°C préconisée par la norme).

Bonnes pratiques et recommandations

Nous explorons alors, sur la base de deux exemples de rénovation HPE (Minergie) et THPE (Minergie-P), la possibilité de réduire concrètement l’écart de performance observé, grâce à une attention particulière lors de la phase de réalisation, ainsi qu’une série de mesures d’optimisation de la gestion énergétique une fois les bâtiments rénovés. Dans les deux cas, on observe une importante réduction de l'écart de performance, par rapport à celui observé dans les 10 opérations de référence étudiées plus haut. Cette réduction se décompose en deux parties :

  • Une Assistance à la Maîtrise d’Ouvrage énergie (AMOen) lors de la phase de conception et de réalisation des travaux, qui permet une économie réelle sur la demande de chauffage supérieure à ce qui est observé dans les autres cas.
  • Une Assistance à la Maîtrise d’Usage (AMU) visant à accompagner les locataires durant la phase d’exploitation, accompagnée d’une phase d’optimisation et de suivi énergétique après rénovation, qui permet de réduire encore la demande de chauffage et donc l’écart de performance.

Réduction de l’écart de performance énergétique sur deux études de cas B11 et B12-13 après rénovation :

(1) mesures d’optimisation et (2) reste dû à la différence entre les conditions standard d’utilisation et les conditions optimales d’utilisation

Grâce aux mesures d'optimisation, la part effectivement réalisée du potentiel d'économie théorique passe ainsi dans les deux cas d’environ 65% à 80%. Le solde est principalement dû aux valeurs optimistes de la norme SIA pour calculer les économies théoriques, en particulier une température des logements à 20°C, au lieu des 21.5°C qui semblent acceptables par les locataires.

Finalement, nous proposons une série de recommandations visant à réduire l’écart de performance et à éviter les ruptures dans la chaine de responsabilité tout au long du processus de rénovation. Ces recommandations ont été recueillies auprès de divers acteurs professionnels et académiques. Elles ont été complétées par des recommandations décrites dans diverses études sur le sujet. Ces recommandations sont regroupées selon les différentes phases du projet, à savoir l’état des lieux, la conception, la réalisation, conclue par la mise en service, et l’exploitation.

Coûts des rénovations

L’analyse de la performance économique se base sur les coûts détaillés des travaux figurant dans les dossiers d’autorisation, qui sont répartis par type de travaux : travaux à plus-value énergétique, travaux à plus-value non énergétique et travaux d’entretien. Pour chacune des opérations, le coût des travaux à plus-value énergétique est mis en relation avec les kWh effectivement économisés ainsi que les émissions de CO2 évitées.

Les résultats montrent que :

  • Sur l’ensemble de l’échantillon, le coût brut du kWh d’énergie finale réellement économisée se situe dans une fourchette allant de 9 à 26 ct/kWh.
  • Pour les 3 rénovations à haute performance énergétique – Minergie, le coût brut du kWh d’énergie finale économisée se situe dans une fourchette de 11 à 22 ct/kWh. Après déduction de l’énergie économisée et de la taxe carbone évitée (aux coûts 2016), il reste un surcoût nul ou de quelques centimes par kWh. Ceci devrait se réduire ou même s’inverser avec l’augmentation de la taxe carbone et/ou une augmentation du coût des combustibles.
  • Pour les 2 rénovations à très haute performance énergétique – Minergie-P, le coût brut du kWh d’énergie finale économisée s’élève à 25 ct/kWh. Après déduction de l’énergie économisée et de la taxe carbone évitée (aux coûts 2016), il reste un surcoût d’une dizaine de centimes par kWh par rapport aux combustibles fossiles. Il est à souligner que le coût brut de l’énergie économisée est proche du  coût actuel de la chaleur renouvelable offerte sur le marché genevois. Un doublement du prix de l’énergie ou une augmentation de la taxe carbone à environ 300 CHF/tonne ou bien encore une composition des deux rendrait le coût du néga kWh économiquement compétitif.
  • Les conclusions sont similaires pour le coût de la tonne de CO2 évitée.

Incidence sur les loyers

La quasi-majorité des rénovations analysées ont engendré après travaux une hausse des loyers pour les locataires. La hausse moyenne des loyers est comprise entre 95 et 956 CHF/pce/an. Elle peut résulter de la répercussion de la hausse admissible par les travaux à plus-value énergétique et non énergétique, à laquelle peut s’ajouter la Baisse Prévisible des Charges et une contribution énergétique du locataire à hauteur de 120 CHF/pce/an. Cette augmentation dépend également du loyer initial et du plafond LDTR qui se situe aujourd’hui à 3405 CHF/pce/an. Il ressort de notre analyse les points clés suivants :

  • Dans les cas où les loyers avant rénovation dépassaient le seuil LDTR, les travaux réalisés se sont limités à des travaux de rénovations partielles, avec très peu d’investissement dans les travaux d’amélioration énergétique.
  • Les rénovations ont engendré une forte hausse des loyers les plus bas, sans différence marquée entre les rénovations complètes et partielles.
  • Dans les cas de rénovations complètes, plus la hausse des loyers a été importante, plus ont été importantes les économies d’énergies finales effectivement réalisées.

Sur la base de ces constats, nous pensons qu’il serait important, lors de l’application du mécanisme de répercussion des coûts, de tenir compte dorénavant du type de rénovation envisagée (rénovation globale, façade, ponctuelle, etc.). À notre avis, une forte hausse des loyers induite par des travaux de rénovation partielle (processus de saucissonnage des travaux) ne devrait pas être permise. Il convient en fait de considérer le potentiel de hausse de loyers comme un levier pour déclencher des travaux de rénovation à haute et très haute performance énergétique et d’éviter autant que possible le processus d’écrémage appliqué par certains acteurs qui consiste à plafonner les loyers en réalisant des travaux partiels à faible potentiel d’amélioration énergétique.

Autres volets

En complément au benchmark des performances énergétique, économique et environnemental ci-dessus, deux volets complémentaires concernent l’analyse de deux solutions d’efficacité énergétique spécifiques : i) la fermeture des balcons en loggia comme solution d’efficacité énergétique en hiver ; ii) la récupération de chaleur sur air vicié pour le préchauffage de l’ECS comme alternative à la ventilation double-flux avec récupération de chaleur. Concernant les résultats de cette étude, nous renvoyons le lecteur au rapport complet (lien ci-dessous).

Remerciements / Financement

Cette étude a été réalisée grâce au soutien financier de l’Office Fédéral de l’Énergie (OFEN), l’Office Cantonal de l’Énergie de Genève (OCEN), la Commission pour la Technologie et l’Innovation (CTI) dans le cadre du programme SCCER FEEB&D, ainsi que les Services Industriels de Genève (SIG).

Liens

Article de synthèse :
Vogel B. (2018). Un assainissement énergétique efficace.
www.bfe.admin.ch/CT/batiments

Rapport complet :
Khoury J. et al. (2018). COMPARE RENOVE : du catalogue de solutions à la performance réelle des rénovations énergétiques (écarts de performance, bonnes pratiques et enseignements tirés).
archive-ouverte.unige.ch/unige:101940

Pierre Hollmuller

Pierre Hollmuller

Pierre Hollmuller est chargé de cours à l'Université de Genève. Sa carrière de recherche et d'enseignement dans le domaine des systèmes énergétiques s'est développée au sein de diverses universités (Université de Genève, Universidade de Lisboa Portugal, Universidade Federal de Santa Catarina Brésil). En collaboration avec le Prof. Martin Patel, il gère depuis 2010 le Partenariat de recherche entre les Services industriels de Genève (SIG) et l'Université de Genève, dans le domaine de l'efficacité énergétique et de l'intégration des énergies renouvelables.

www.unige.ch/sysener/fr/equipe/hollmuller

Jad Khoury

Jad Khoury

Jad Khoury est responsable de la planification énergétique pour les projets de développement urbain aux Services industriels de Genève (SIG). Il est architecte (spécialisation physique du bâtiment) et titulaire d'un doctorat de l'Université de Genève. Ce doctorat a fortement contribué à l'étude mentionnée dans cet article.

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