Le solaire et l’éolien pour réduire l’empreinte environnementale du système énergétique suisse

Afin de respecter les accords de Paris, la Suisse s’est donné comme ambition d’atteindre la neutralité climatique d’ici 2050, c’est-à-dire ne plus émettre de gaz à effet de serre (GES). À cet horizon, l’objectif implique notamment l’abandon de l’essence et du diesel dans le secteur de la mobilité, et leur substitution par des véhicules électriques. L’installation de pompes à chaleur dans les bâtiments pour répondre aux besoins de chaleur devrait également avoir lieu à grande échelle.

En Suisse, l’électricité nécessaire à ces usages provient aujourd’hui principalement des centrales nucléaires et hydrauliques – des technologies à faible empreinte carbone. Mais une partie de l’électricité est importée (environ 11%) depuis les pays avoisinants. À l’échelle européenne, les centrales à énergies fossiles utilisées pour la production d’électricité sont responsables d’environ 25% de l’ensemble des émissions de gaz à effet de serre. Alors que l’électricité produite en Suisse génère environ 29 g d’équivalents CO2 par kilowattheure, l’impact réel de la consommation suisse d’électricité – importations comprises – se situe aux alentours de 108 g (Romano E. et al, 2018).

Si l’on souhaite minimiser l’impact environnemental de notre consommation électrique à un bas niveau, il est donc indispensable de regarder de plus près l’impact des importations d’électricité sur les émissions de CO2 induites par notre consommation actuelle et future.
 

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Graphique 1 : mix d’approvisionnement agrégé mensuellement et demande d’électricité suisse. Les importations mensuelles sont en gris.

Dans une récente étude (Rüdisüli M., Romano E. et al., 2022), en collaboration avec l’EMPA, l’UNIGE a analysé les émissions de carbone adossées à la consommation d’électricité suisse, en tenant compte de l’impact des nouveaux usages. Pour ce faire, les besoins d’importation d’électricité ont été estimés en fonction de différents scenarios d’évolution du parc de production d’électricité suisse d’ici 2050. L’étude comptabilise ainsi les émissions de CO2 directes et indirectes liées à la production d’électricité, selon l’approche du cycle de vie (Life Cycle Analysis).

Remplacement de l’électricité nucléaire

En raison de l’augmentation de l’électrification, l’étude prévoit un besoin supplémentaire en électricité d’environ 12 térawattheures. Ce chiffre représente environ 20% de plus que notre consommation actuelle. Parallèlement, en raison de la sortie progressive de l’atome, le remplacement de cette production doit être anticipé. Le remplacement par des énergies renouvelables, qui sont nettement plus volatiles – c’est-à-dire qu’elles ne se produisent pas de manière régulière –influencera à son tour considérablement la quantité et le moment des importations d’électricité.

Dans ce contexte, l’étude a examiné, sur la base des différents scénarios (voir Graphique 1), comment le mix électrique suisse devrait se composer à l’avenir afin de minimiser les importations (et donc les émissions de gaz à effet de serre liées à l’électricité). L’étude montre que la part d’électricité importée dans le mix électrique suisse augmentera dans tous les cas – et donc aussi les émissions de CO2 (Graphique 2). Malgré cette augmentation des émissions "importées", l’électrification croissante du chauffage et de la mobilité entraînera toutefois une réduction des émissions de gaz à effet de serre pouvant atteindre 45% de l’ensemble des émissions du système énergétique suisse.
 

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Graphique 2 : moyenne horaire, mensuelle et annuelle des intensités de GES pondérées par la demande de l’électricité suisse (y compris les pompes PHS).
 

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Graphique 3 : émissions absolues de GES dans le système énergétique étudié dans cette étude. Les émissions de GES dans le secteur de l’électricité sont indiquées pour les sources domestiques (vert) et importées (gris), tandis que les barres noires représentent les émissions de GES dans le secteur de la chaleur et des transports sans électrification.

Le vent contre la pénurie d’électricité en hiver – et les technologies "Power-to-X"

En hiver, la Suisse restera plus dépendante aux importations d’électricité en raison des rendements moindres du photovoltaïque. Le scénario qui a obtenu les meilleurs résultats en termes de réduction des émissions dans l’étude prévoit donc, outre un développement de l’énergie solaire à 25 térawattheures (contre 2,7 actuellement), une part très importante d’énergie éolienne d’environ 12 térawattheures (contre 0,1 actuellement). L’énergie éolienne étant principalement produite en hiver et la nuit, elle peut donc contribuer à réduire notre dépendance aux importations pendant ces périodes.

De plus l’étude estime que le stockage saisonnier de l’énergie constitue un défi de plus en plus important. Dans tous les scénarios calculés, il faut s’attendre à d’importants excédents d’électricité en été en raison du développement du photovoltaïque. Selon les chercheurs, le plus grand potentiel pour transférer ces excédents en hiver réside dans les technologies "Power-to-X", qui permettent de transformer l’électricité excédentaire en vecteurs énergétiques chimiques stockables tels que l’hydrogène ou le méthane synthétique, ainsi que dans les accumulateurs thermiques tels que les champs de sondes géothermiques.

Références

Romano E., Hollmuller P., Patel M. "Émissions horaires de gaz à effet de serre liées à la consommation d’électricité – une approche incrémentale pour une économie ouverte : le cas de la Suisse". 2018. archive-ouverte.unige.ch/unige:131622

Rüdisüli M. et al. "Decarbonization strategies for Switzerland considering embedded greenhouse gas emissions in electricity imports". Energy policy, 2022, vol. 162, p. 112794. doi: 10.1016/j.enpol.2022.112794 archive-ouverte.unige.ch/unige:158251

Elliot Romano

Elliot Romano

Elliot Romano est adjoint scientifique à l’Institut des sciences de l’environnement de l’Université de Genève depuis 2015. Titulaire d’un Doctorat en économie de HEC Lausanne et d’un Master d’économie de l’Université catholique de Louvain (Belgique), il débute sa carrière au sein d’un groupe électrique suisse (EOS, Lausanne). En 2005, il rejoint la Direction des études et recherches d’Électricité de France (EDF, Paris) et dirige le projet de recherche en Économie de la régulation. Par la suite, il est nommé chef du Département de la surveillance des marchés de la Commission de régulation de l’énergie (Paris). Entre 2011 et 2014, il est responsable de l’Unité tarification des Services industriels de Genève (SIG) et introduit le bonus aux économies d’énergie pour les consommateurs genevois.

www.unige.ch/sysener/fr/equipe/elliot-romano1

Pierre Hollmuller

Pierre Hollmuller

Pierre Hollmuller est chargé de cours à l'Université de Genève. Sa carrière de recherche et d'enseignement dans le domaine des systèmes énergétiques s'est développée au sein de diverses universités (Université de Genève, Universidade de Lisboa Portugal, Universidade Federal de Santa Catarina Brésil). En collaboration avec le Prof. Martin Patel, il gère depuis 2010 le Partenariat de recherche entre les Services industriels de Genève (SIG) et l'Université de Genève, dans le domaine de l'efficacité énergétique et de l'intégration des énergies renouvelables.

www.unige.ch/sysener/fr/equipe/hollmuller

Martin Patel

Martin Patel

Martin Patel est professeur à l'Université de Genève, où il occupe la chaire en efficience énergétique depuis 2013. Avant sa nomination à Genève, il était professeur assistant et professeur associé à l'Université d'Utrecht (Pays-Bas, 2001-2013), après avoir été doctorant et chercheur au Fraunhofer Institute (ISI) à Karlsruhe (Allemagne, 1993-2000). Ses recherches portent sur les économies d'énergie et la réduction des émissions dans l'industrie et l'environnement bâti, ainsi que sur le stockage de l'énergie.

www.unige.ch/efficience/en/team/patel

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