L'incontestable force morale de l'initiative pour une économie responsable
S'il y a une chose sur laquelle tous les Suisses peuvent se mettre d'accord, c'est qu'il est souhaitable pour nous tous de pouvoir jouir d'un climat relativement stable, de terres productives, et d'air et d'eaux propres, car ce sont les fondements mêmes de la prospérité et d'une bonne vie.
Ce n'est que récemment que des scientifiques ont identifié les différents domaines du système terrestre qui maintiennent, collectivement, les conditions propices à la vie humaine. La vie dépend de neuf dimensions, comme un climat stable, une vie foisonnante (biodiversité), des sols riches, des taux d'azote ou de phosphore pas trop élevés, etc. Les scientifiques ont également établi des seuils approximatifs pour chacun de ces domaines, au-delà desquels, en théorie, nous risquons de provoquer un basculement irréversible vers un nouvel état qui serait probablement moins propice et accueillant pour les êtres humains. Ce sont les "limites planétaires" que l'initiative appelle à respecter.
À l'échelle globale, nous avons collectivement déjà franchi 6 des 9 limites planétaires. Le dépassement de ces limites ne signifie pas que le système a déjà basculé dans un autre état, mais que nous sommes dans une zone de danger où il pourrait basculer à tout moment de manière irréversible. Ce risque augmente avec chaque année passée sans réduction de nos impacts environnementaux.
On voit déjà les prémices d'un monde déréglé. La route qui mène au Val d'Anniviers semble déjà beaucoup plus vulnérable aux chutes de pierres qu'il y a 10 ans (certains de mes amis hésitent dorénavant à y monter) et elle sera de plus en plus coûteuse à entretenir. Je suis de moins en moins assuré que mes tomates pousseront correctement dans les années à venir, car la météo est devenue moins prévisible. J'empathise avec les agriculteurs qui doivent composer avec des difficultés supplémentaires et je me demande si les prix de l'alimentation vont s'envoler. Je regarde mes enfants et je me demande si j'ai fait tout ce qui était possible pour leur garantir de bonnes conditions de vie.
Aujourd'hui, les Suisses – et surtout les personnes les plus aisées – mènent un train de vie qui dépasse largement les limites planétaires. À notre échelle, nous contribuons clairement à ce problème mondial. En tant que scientifique, j'établis un lien de causalité entre certains choix excessifs sur le plan matériel et les maux qui seront engendrés, tôt ou tard, par ces choix. Avec ce que nous savons aujourd'hui, il devient difficilement défendable (pour ne pas dire criminel) d'acheter une grosse voiture plutôt qu'une petite ; de soutenir un projet pharaonique et énergivore comme le futur anneau collisionneur de particules du CERN plutôt que d'y renoncer.
À titre personnel je serais heureux de vivre dans une société qui respecte collectivement des limites planétaires, car cela nous permettrait de nous débarrasser de moult choses superflues dans nos vies et qui, en partie, contribuent au surmenage et à la perte de sens caractéristiques de notre époque. Et vous ?
La question essentielle de l'initiative
L'initiative pour la responsabilité environnementale nous offre un choix d'importance capitale. Refuser l'initiative permet d'éviter de se remettre en question et de préserver une économie et un mode de vie consuméristes. Mais on devra aussi assumer notre responsabilité dans la dégradation probable des conditions de vie futures. Par contraste, si l'initiative était adoptée, nous serions certes soumis à des changements importants sur le court terme, mais nous serions maîtres de notre destin et nous serions cohérents avec la seule voie qui maintient une chance de laisser de bonnes conditions aux générations futures.
Une amélioration au niveau mondial ne pourra se réaliser que si la grande majorité des pays s'aligne sur des objectifs similaires. Faut-il pour autant se dire que ça ne marchera pas, rejeter l'initiative, et continuer comme si de rien n'était ? À titre personnel, il me semble préférable de vivre de manière exemplaire et pour une bonne cause collective. C'est un pari et un effort auxquels je consens volontiers pour moi-même, pour mes enfants, pour nous, habitants de cette planète, et surtout pour les générations à venir.
Martin Schlaepfer
Martin Schlaepfer est biologiste de formation (écologie et évolution). Pendant dix ans il a fait de la recherche et enseigné dans les domaines de la conservation de la nature et du comportement animal. Il s’intéresse à l’intégration de la biodiversité et des services écosystémiques dans les Objectifs de développement durable. Il a notamment participé à la création du Massive Open Online Course "Ecosystem Services : A Tool for Sustainable Development" sur la plateforme Coursera.