Le soutien du public aux énergies bas carbone et renouvelables s'accroît-il nécessairement avec plus d’informations ?

Introduction

En mai 2017, le peuple Suisse a approuvé l’implémentation de la Stratégie énergétique 2050. Cet événement était une première mondiale ; en effet, il légitima une proposition de transition énergétique majeure, caractérisée par une volonté d’accroître les énergies renouvelables et l’efficacité énergétique. Toutefois, sa mise en œuvre nécessite qu’un certain nombre de choix soient faits : il s’agit, d’une part, de décider quelles technologies permettant de produire de l’électricité bas carbone doivent être déployées et, d’autre part, de décider quelle sera l’échelle de déploiement des nouvelles technologies retenues.

Dans cette optique, les préférences sociales jouent un rôle important et nécessitent d’être étudiées, car elles peuvent fortement influencer les politiques visant à mettre en œuvre la transition énergétique. Jusqu’à présent, les préférences sociales ont principalement été étudiées par le biais de sondages d’opinion public1, et les résultats soulignent une certaine méconnaissance du public au niveau des caractéristiques et impacts de certaines technologies. Par exemple, certaines études ont montré que le gaz naturel est parfois perçu comme étant une énergie renouvelable2 ; d’autres études ont montré que l’énergie nucléaire est parfois comprise comme étant une technologie émettant des gaz à effet de serre3 ; finalement, certaines études ont montré que la géothermie profonde (une centrale électrique qui produit de l’électricité à partir de la chaleur issue de la croûte terrestre) pourrait potentiellement provoquer des éruptions volcaniques4.

Dans cette étude5, nous avons adressé ce problème en créant ce que nous nommons ici un « panel de citoyens informés ». Il s’agit dans les faits d’un processus structuré, c’est-à-dire que nous avons présenté un large éventail de technologies produisant de l’électricité à un groupe de citoyens, et nous avons mesuré l’évolution de leurs préférences au fil du processus. Cette étude s’est inscrite dans le projet de recherche « Ambizone Energy » intitulé « RIGOROuS », financé par le Fonds National Suisse de la recherche Scientifique (Bourse No.160563).

Conception d’un panel de citoyens informés

En tout 46 personnes issues de la partie germanophone de la Suisse (principalement Zürich) ont participé à cette étude. Ces personnes ont été sélectionnées de manière à ce qu’il n’y ait aucun expert issu du domaine de la production d’électricité, et de manière à couvrir un large spectre de préférences liées aux différentes technologies. Une fois sélectionnés, les participants ont reçu un dossier contenant des informations sur les technologies produisant de l’électricité en Suisse. Chaque technologie était présentée séparément sur une page A4, recto-verso, que l’on nomme communément en anglais « factsheet » (ces « factsheet » sont disponibles en ligne en Français). Les informations fournies aux participants concernaient l’état actuel des technologies, leur potentiel technique, et leurs impacts environnementaux, économiques, et sur la santé humaine. Ce dossier d’informations contenait également un document donnant une vue d’ensemble de toutes les technologies et leurs impacts (Fig. 1).

Après un mois (suite à la réception du dossier d’informations), nous avons invité les participants à prendre part à des ateliers (« workshops »). Durant ces ateliers, les participants ont eu, d’une part, l’opportunité de discuter de leurs préférences en petits groupes avec l’aide d’un modérateur. D’autre part, un outil interactif en ligne, nommé « Riskmeter » (Fig. 2, disponible en ligne en Français - riskmeter.ch/fr), a été mis à leur disposition et leur a permis de créer un portefeuille de technologies produisant l’électricité en Suisse pour l’année 2035, en tenant compte toutefois des contraintes techniques et en termes de ressources énergétiques. L’outil en ligne a été créé dans l’optique d’aider les participants à synthétiser leurs connaissances sur les différentes technologies et élaborer un portefeuille réaliste. Nous avons mesuré les préférences des participants à trois instants distincts : au moment de leur engagement, durant les ateliers, et quatre semaines au terme des ateliers.
 


Figure 1. Vue d’ensemble des impacts liés aux différentes technologies de production d’électricité ; ces informations faisaient partie intégrante des « factsheet ».
 


Figure 2. L’interface de l’outil en ligne interactif « Riskmeter ». Ce qui est montré ici est, en moyenne, le portefeuille privilégié par panel de citoyens informés (N=46).

Le soutien du public aux énergies bas carbone et renouvelables s'accroît-il nécessairement avec plus d’informations ?

Au départ, en moyenne, nos participants étaient en faveur d’un secteur électrique bas carbone, composé principalement d’énergie hydraulique, d’énergie solaire, de mesures d’économie d’électricité, de mesures d’amélioration de l’efficience énergétique et, dans une moindre mesure, d’un mélange de différentes technologies renouvelables. Le fait de fournir des informations aux participants sur les différentes technologies a eu des effets contrastés au niveau de leurs préférences. Comme cela peut être constaté sur la Fig. 3, en suivant les lignes à partir des « préférences initiales » jusqu’aux « préférences à long terme », le soutien pour certaines technologies a crû, tandis que pour d’autres, le soutien a baissé ou est resté similaire.

Figure 3. Les préférences relatives aux technologies, mesurées par rapport à la vision des répondants lorsqu’il leur était demandé de décider quels types de technologies de production d’électricité devraient être déployées en Suisse pour l’année 2035 (échelle de Likert, système de 7 points : 1=Pas du tout d’accord jusqu’à 7=Tout à fait d’accord). Des différences statistiquement significatives (p<0.05) ont été relevées entre (a) les « préférences initiales » et les « préférences informées », et (b) entre les « préférences initiales » et les « préférences à long terme ».

En lien avec des études précédentes menées en Suisse1,6, les participants ont exprimé un fort soutien aux grands barrages hydroélectriques, ces derniers étant plus familiers et inspirant une certaine confiance. Par conséquent, le fait d’apporter plus d’informations n’a pas significativement affecté les préférences des participants vis-à-vis de cette technologie. À l’opposé, le soutien aux grandes centrales hydrauliques au fil de l’eau a augmenté avec plus d’informations. Ce type de technologie, bien que répandue en Suisse, tend à recevoir moins d’attention dans les médias en comparaison avec les grands barrages hydroélectriques ou les centrales hydroélectriques de faible capacité souvent sujettes à débat. On peut envisager que les participants n’avaient au départ que peu de connaissances au sujet des grandes centrales hydrauliques au fil de l’eau mais qu’ils aient, au fil du processus, acquis certaines connaissances sur les caractéristiques et impacts de cette technologie, et aient ainsi revisité leurs préférences.

De manière similaire, l’énergie éolienne et les mesures d’économie d’électricité et d’efficacité ont reçu plus de soutien suite à un apport d’informations. Dans le cas de l’énergie éolienne, souvent sujette à controverse, il est possible que les informations fournies, ainsi qu’une réflexion sur les avantages et désavantages de cette technologie en comparaison avec d’autres, aient donné une meilleure image de cette technologie. Concernant les mesures d’économies et d’efficacité, le soutien était déjà élevé à la base, et a augmenté avec l’apport d’informations. Cela est peut-être dû au fait que les participants ont pu prendre connaissance des impacts moindres de cette technologie comparée à d’autres.

À l’opposé, le soutien aux cellules solaires photovoltaïques, à la géothermie profonde, et aux centrales de biomasse (bois) – des centrales électriques qui utilisent divers types de bois de moindre qualité en tant que carburant, tels que les copeaux de bois, les granulés de bois, les émondes, la sciure, les résidus des forêts ou des écorces – a eu tendance à diminuer avec plus d’informations. Au départ, les cellules photovoltaïques étaient, en moyenne, la technologie la plus soutenue par les participants ; toutefois, en informant ces derniers sur les impacts en termes de sécurité de l’approvisionnement, les coûts, l’utilisation des ressources, et sur les déchets, cela a eu pour effet de modifier légèrement les préférences des participants. Ce résultat suggère que des lacunes en termes de connaissances existaient – même pour une technologie connue du grand public telle que les cellules photovoltaïques – mais qu’elles ont pu être contrecarrées par un apport d’informations. Ce phénomène était encore plus frappant dans le cas de la géothermie profonde, une technologie émergente, ainsi que dans le cas des centrales de biomasse (bois), une technologie moins en vue. Dans ces deux cas, la réduction significative du soutien des participants pourrait être liée au fait que ces derniers ont pu prendre connaissance de certains impacts potentiellement conséquents de ces technologies, par exemple les impacts accidentels (séismicité induite) dans le cas de la géothermie profonde, ou le risque de pollution locale de l’air dans le cas des centrales de biomasse (bois).

Pour toutes les autres formes de technologies renouvelables, telles que les usines d’incinération des ordures ménagères, les installations de biogaz, et les centrales hydroélectriques de faible capacité, un apport d’information n’a pas eu d’effet majeur sur les préférences des participants.

Combien de temps l’effet de l’information dure-t-il ?

De façon analogue à ce qui a été présenté précédemment, les effets des informations sur les participants ont varié selon les technologies. Dans le cas des grandes centrales hydrauliques au fil de l’eau et de l’énergie éolienne, le soutien accordé à ces deux technologies au terme de l’atelier était similaire quatre semaines après (Fig. 3, suivre les lignes entre « préférences informées » et « préférence à long terme »). Dans les cas de la géothermie profonde, des centrales de biomasse (bois) et, surtout, des cellules photovoltaïques et des mesures d’économies d’électricité et d’efficacité, les préférences de participants ont plutôt eu tendance à revenir aux niveaux initiaux (Fig. 3). Il est possible, d’une part, que la complexité des informations fournies, ainsi que la pression au niveau du temps durant les ateliers, aient affecté la compréhension des informations. D’autre part, ces résultats indiquent peut-être la nécessité d’exposer de façon continue le public à des informations pertinentes afin de stabiliser les préférences.

Les participants étaient généralement satisfaits, d’une part, avec le matériel fourni contenant les informations (qui comprend les « factsheet » ainsi que l’outil interactif en ligne) et, d’autre part, avec les discussions et le processus de manière générale. Il est intéressant de souligner que les participants n’ont pas perçu de différences entre la « factsheet » et l’outil en ligne interactif, bien que la littérature sur le sujet stipule souvent que les outils interactifs rendent l’information plus engageante et accessible au grand public. Nous étudions cet effet plus en détails dans une autre étude7.

Conclusions

Notre étude montre que le fait de fournir des informations compréhensives sur toutes les technologies produisant de l’électricité peut affecter le soutien du grand public pour certaines technologies. Même dans un pays comme la Suisse où ont lieu depuis des années de nombreuses discussions publiques au sujet de l’énergie, un apport d’informations sur les multiples impacts possibles a permis à nos participants de réajuster leurs préférences pour certaines technologies. Toutefois, la stabilité des effets de l’information n’est pas toujours garantie. Nous suggérons qu’il est nécessaire d’exposer le public de manière continue à des informations sur le sujet, ainsi que de poursuivre la recherche sur l’évolution des préférences sociales. Finalement, nos résultats fournissent des indications intéressantes et utiles sur l’état des préférences sociales dans la partie germanophone de la Suisse, en soulignant le soutien constant pour un futur système de production d’électricité composé de technologies bas carbone et renouvelables. Nous prévoyons de répéter cette étude à Genève afin de déterminer si les « préférences informées » sont similaires pour la partie francophone de la Suisse.

Références

1. Visschers, V. H. M.; Siegrist, M. "Find the Differences and the Similarities: Relating Perceived Benefits, Perceived Costs and Protected Values to Acceptance of Five Energy Technologies". J. Environ. Psychol. 2014, 40, 117–130.

2. Devine-Wright, P. "A Cross - National, Comparative Analysis of Public Understanding Of, and Attitudes Towards Nuclear, Renewable and Fossil - Fuel Energy Sources". In Crossing Boundaries - The Value of Interdisciplinary Research: Proceedings of the Third Conference of the EPUK (Environmental Psychology in the UK) Network; EPUK; Robert Gordon University: Aberdeen, UK, 2003; pp 160–173.

3. Poortinga, W.; Pidgeon, N.; Lorenzoni, I. Public Perceptions of Nuclear Power, Climate Change and Energy Options in Britain: Summary Findings of a Survey Conducted during October and November 2005; Technical Report; Understanding Risk Working Paper, Vol. 06- 02; Centre for Environmental Risk, School of Environmental Sciences, University of East Anglia: Norwich, U.K., 2006.

4. Volken, S.; Wong-Parodi, G.; Trutnevyte, E. "Public Awareness and Perception of Environmental, Health and Safety Risks to Electricity Generation: An Explorative Interview Study in Switzerland". J. Risk Res. 2017, 9877, 1–16.

5. Volken, S. P.; Xexakis, G.; Trutnevyte, E. "Perspectives of Informed Citizen Panel on Low-Carbon Electricity Portfolios in Switzerland and Longer-Term Evaluation of Informational Materials". Environ. Sci. Technol. 2018, 52, acs.est.8b01265.

6. Rudolf, M.; Seidl, R.; Moser, C.; Krütli, P.; Stauffacher, M. "Public Preference of Electricity Options before and after Fukushima". J. Integr. Environ. Sci. 2014, 11 (1), 1–15.

7. Xexakis, G.; Trutnevyte, E. "Are Interactive Web-Tools Worth the Effort? An Experimental Study on the Swiss Electricity Supply Scenarios 2035". 2018, under review.

Léon Hirt

Léon Hirt

Léon Hirt est étudiant-doctorant à l’Institut des sciences de l’environnement de l’Université de Genève, au sein du groupe Systèmes d’énergies renouvelables. Sa recherche porte sur l’analyse de la diffusion des énergies renouvelables en Suisse. Il adopte une approche interdisciplinaire en cherchant à lier des méthodes de modélisation quantitatives et des théories des transitions socio-techniques. Il est supervisé par la Prof. Evelina Trutnevyte, de la Faculté des sciences, et co-supervisé par la Prof. Marlyne Sahakian, de la Faculté des sciences de la société.

Evelina Trutnevyte

Evelina Trutnevyte

Evelina Trutnevyte est professeure associée à l'Université de Genève et dirige le groupe Systèmes d’énergies renouvelables. Elle est membre du Pôle sciences, thématique Énergie, de l'Institut des sciences de l'environnement. Evelina est une analyste et modélisatrice des systèmes énergétiques. Ses spécialisations sont les systèmes d'énergies renouvelables, les approches socio-techniques de la transition énergétique, ainsi que les questions liées à la prise de décisions en matière d’énergie dans un contexte d'incertitude. Elle a travaillé à l'ETH Zürich, l'University College London (Royaume-Uni), l'Université Carnegie Mellon (États-Unis), ainsi que dans d'autres universités.

www.unige.ch/res/en/group-members/evelina-trutnevyte

Georgios Xexakis

Georgios Xexakis

Georgios Xexakis est étudiant-doctorant au sein du groupe Systèmes d’énergies renouvelables à l’Université de Genève. Il travaille sur les scénarios énergétiques et climatiques basés sur le long terme. Sa recherche se penche sur les méthodes permettant d’accroître l’utilité de ces scénarios afin de satisfaire un large éventail de parties prenantes, les experts et le grand public. Georgios est ingénieur civil de formation et a de l’expérience professionnelle en tant que développeur de logiciels aux Pays-Bas.

https://www.unige.ch/res/en/group-members/georgios-xexakis

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