Abisko, retour sur un voyage au-delà du cercle polaire – Le récit des enseignants
"Et si on emmenait les étudiants du MUSE en Arctique ?"
Je me souviens encore de cette question que Jérôme m’a posée un jour au mois d’août 2022. Nous venions tout juste de retourner à la station de recherche d’Abisko (Suède), après une longue journée de terrain passée à explorer les lacs de la région de Torneträsk, à la recherche d’arbres millénaires susceptibles de nous renseigner sur l’évolution du climat au cours de l’Holocène.
Qui aurait cru qu’une simple phrase lancée "en passant" nous conduirait, deux ans plus tard, à emmener un groupe de 25 étudiant-e-s au-delà du cercle polaire ?
Une organisation plus simple qu’il n’y paraît
La mise en place de ce terrain de recherche s’est avérée étrangement plus simple qu’on aurait pu l’imaginer.
La station de recherche d’Abisko, qui existe depuis 1913, peut accueillir environ 80 personnes et dispose de dortoirs spécifiquement prévus pour les étudiant-e-s. Nous avons alors contacté Håkan Grudd, un collègue paléoclimatologue, avec qui nous collaborons depuis plusieurs années et qui est justement l’un des responsables de la station :
— Au fait, Håkan, tu crois qu’il serait possible de venir travailler avec quelques étudiants à la station de recherche ?
— Pas de souci ! Envoyez un message à Jennie du secrétariat, et nous vous réserverons une place.
Et aussi simplement que cela, le projet était lancé.
Il restait maintenant à convaincre l’Université de Genève (UNIGE) de nous permettre d’emmener des étudiant-e-s à plus de 3'000 km de l’Institut des sciences de l’environnement (ISE). Très vite, une question essentielle s’est posée : quel mode de transport privilégier ?
Alors que l’UNIGE vise une réduction de 50 % de ses émissions de gaz à effet de serre d’ici 2030, et que l’ISE sensibilise ses étudiant-e-s aux impacts du changement climatique à travers ses enseignements, il nous paraissait incohérent de demander à 27 personnes de prendre l’avion pour rejoindre Abisko. Nous avons donc opté pour un voyage en train.
Un voyage en train, une expédition à part entière
Nous sommes partis de Genève le 8 septembre 2024. Ce voyage s’est révélé être une véritable expédition. Il nous a fallu deux jours pour atteindre Abisko… et près de trois jours pour revenir.
Malgré les problèmes de correspondances, les retards, les trains en avance (le Hambourg - Stockholm a quitté la gare avec une heure d’avance, pour arriver avec trois heures de retard), et les nuits inconfortables nous sommes finalement arrivés à la gare d’Abisko.
Nous avons découvert les maisons rouges, si caractéristiques de ce petit village de moins de 100 habitant-e-s. Puis, l’imposante station de recherche est apparue, dominant le majestueux lac Torneträsk, entouré de forêts de bouleaux aux teintes dorées de l’automne.
Lac et paysage forestier (photo : Jérôme Lopez-Saez)
Un terrain scientifique enrichissant
Ce voyage de terrain avait pour objectif d’aider les étudiant-e-s à mieux comprendre les écosystèmes de l’Arctique, une région soumise à un réchauffement deux fois plus rapide que la moyenne globale.
Ils/elles ont également pu découvrir le fonctionnement d’une station de recherche, se former à la paléoclimatologie, collecter, analyser des données et se familiariser avec les méthodes statistiques utilisées pour reconstituer les températures du passé et replacer les changements climatiques actuels dans leur contexte.
Enfin, cette expérience les a confronté-e-s aux défis auxquels les chercheurs-euses font fréquemment face lorsqu’ils/elles travaillent sur le terrain.
Après quatre jours passés sur le terrain et dans la station, il était temps d’envisager le retour.
Une dernière soirée sous les aurores boréales
Comme pour nous souhaiter un bon voyage, le ciel arctique nous a offert, lors de notre dernière soirée, un spectacle grandiose : des aurores boréales illuminant la nuit, que nous avons pu contempler pendant de longues heures.
Aurore boréale (photo : Martin Lou Schärer-Charbonnel)
Au-delà des difficultés du voyage, de la fatigue, ce sont des souvenirs inoubliables et de chouettes moments partagés qui resteront gravés. Cette aventure n’aurait pu être possible sans la patience, l’enthousiasme, et l’engagement de tous les participant-e-s, qui se sont relayé-e-s chaque jour pour faire les courses, préparer les repas, faire la vaisselle et laisser la station aussi propre que nous l’avions trouvée.
Un immense merci à toutes et tous ! Nous remercions également nos collègues de l’ISE, dont le soutien a rendu ce projet possible.
Sébastien et Jérôme
Sébastien Guillet
Dr. Sébastien Guillet est climatologue et collaborateur scientifique à l’Institut des sciences de l’environnement de l’Université de Genève. Spécialisé dans l’étude des variations climatiques au cours de l’Holocène, il dispense des cours sur les causes, mécanismes et enjeux des changements climatiques. Pour reconstituer l’histoire des climats de notre planète et mettre en perspective le réchauffement actuel, il s’appuie sur plusieurs archives naturelles telles que les cernes d’arbres et les carottes de glace. Sébastien Guillet est également historien du climat et analyse les documents d’archives pour étudier les extrêmes météorologiques, les aléas naturels et leurs impacts sur les sociétés du passé.
Jérôme Lopez-Saez
Dr. Jérôme Lopez-Saez est un chercheur spécialisé en dendrochronologie et en études environnementales. Titulaire d’un doctorat obtenu en 2011 à l’Université de Grenoble, sa thèse portait sur la reconstruction de l’activité des glissements de terrain à l’aide d’une approche dendrogéomorphologique. Depuis 2022, Jérôme Lopez-Saez enseigne à l’Institut des sciences de l’environnement de l’Université de Genève. Ses recherches actuelles visent à analyser les cernes des arbres afin de retracer les variations climatiques des 10'000 dernières années.