Fleury de Oliveira,
Loïc Quiquerez,
Marcel Ruegg,
Michel Monnard,
Bernard Lachal,
Pierre Hollmuller

Évaluation quantitative de scénarios de développement du marché de la chaleur à Genève à l’horizon 2050 : du fossile aux renouvelables, pistes pour décarboner le système thermique

Dans le cadre d’une réflexion prospective sur le développement du marché de la thermique dans le canton de Genève, les Services industriels de Genève (SIG), avec l’appui de l’Université de Genève (UNIGE), ont développé des scénarios prospectifs dans le but d’orienter la stratégie thermique des SIG et de mettre en évidence le rôle des réseaux de chaleur et des pompes à chaleur (PAC) pour décarboner le système thermique dans les années à venir.

La présente étude fait partie intégrante des réflexions prospectives et porte sur l’évaluation quantitative à l’horizon 2050. Les scénarios ont été évalués avec un modèle horaire du type input/output, déjà utilisé et validé précédemment [1, 2, 3], et ont été mis en relation avec les nouveaux objectifs énergétiques et climatiques cantonaux en cours de définition.

Les résultats montrent que pour respecter les nouveaux objectifs, notamment ceux de la Société à 2'000 W pour le secteur de l’approvisionnement en chaleur, il sera nécessaire travailler à la fois sur la baisse de la demande (rénovations, actions de performance et sobriété énergétiques) et sur le développement d’un mix de production thermique basé sur les énergies renouvelables et de récupération (EnR&R). Les réductions massives de la consommation d’énergie totale et fossile sont possibles et impliquent une baisse importante des émissions de CO2 en 2050. En revanche, une attention particulière doit être accordée à la qualité et au suivi des rénovations (50% des demandes thermiques en 2050). Par ailleurs, une certaine flexibilité des modes de production doit être envisagée vu les incertitudes du marché de l’énergie à long terme.

Modèle et résultats

Pour limiter les intrants fossiles dans le système thermique de chaleur, deux classes de scénarios ont été créées pour prendre en compte les incertitudes de l’évolution à long terme du marché du gaz et de l’électricité au niveau européen, et son impact sur le marché de la thermique à Genève. La première classe se caractérise par l’emploi de gaz synthétique ou de biogaz d’origine renouvelable ; tandis que la deuxième est basée sur le renforcement des PAC dans le système thermique avec l’utilisation d’électricité d’origine renouvelable. Il est aujourd’hui difficile de trancher entre ces deux pistes car le développement des filières gaz renouvelable ou électricité renouvelable dépend de facteurs externes liés à l’évolution du marché de l’énergie aux niveaux suisse et européen.

Dans la variante faisant appel au gaz renouvelable, une partie non négligeable de la production thermique destinée aux réseaux de chauffage à distance (CAD) provient des centrales chaleur-force (CCF). La composition du gaz dans le réseau serait donc primordiale pour le respect des obligations légales futures (limiter les émissions CO2 du système thermique et garantir un taux minimal d’EnR&R dans les réseaux CAD). De manière complémentaire, pour le respect des obligations futures, les scénarios avec renforcement PAC seront fortement impactés par l’évolution du marché électrique à l’échelle européenne.

L’évolution des diagrammes de flux énergétiques du système d’approvisionnement en chaleur entre 1975 et 2050 (scénario de base) permet d’appréhender les transformations structurelles envisagées (figure 1), notamment l’interconnexion des systèmes thermiques et électriques avec l’utilisation des CCF pour le couplage du réseau gaz aux réseaux électrique et thermique et des PAC qui permettent l’exploitation des ressources énergétiques locales à basse température avec le renforcement des interactions électrothermiques.

Pour le canton de Genève, l’évolution depuis 2014 des inputs énergétiques est indiquée sur la figure 2. La baisse de la demande énergétique per capita, ainsi que le remplacement des énergies fossiles par le renouvelable devient marquant en 2050, où plus de 90% des inputs sont d’origine renouvelable.

L’évolution des consommations d’énergie liées au système d’approvisionnement thermique des bâtiments depuis 1975 (avec correction climatique tendancielle) et les valeurs prospectives pour les années 2035 et 2050 sont montrées dans la figure 3 et les émissions CO2 correspondantes sont indiquées dans la figure 4.

Les résultats montrent qu’il est possible de limiter les émissions CO2 (scopes 1 et 2 selon le Plan climat cantonal) à moins de 0.2 tCO2/hab. et d’être compatible avec la neutralité carbone d’ici 2050 [4]. Il a été également possible de montrer que les futures consommations d’énergie fossile pour le marché thermique sont en principe compatibles avec la vision de Société à 2'000 W, avec des intrants fossiles pour la thermique inférieurs à 50 W/hab. [4].

Un contenu CO2 plafonné à 150 gCO2/kWhelec serait nécessaire pour garantir le respect de la limite de 0.2 tCO2/hab. pour les scénarios avec renforcement PAC. À noter que ce plafond monte à 450 gCO2/kWhelec pour les scénarios faisant appel au gaz renouvelable (qui permet de limiter la consommation d’électricité). Il convient également de signaler que le choix entre les variantes avec et sans gaz renouvelable sera très dépendant de l’évolution du parc de production électrique en Europe. Les surplus électriques en été permettront le développement massif du power-to-gas ou du power-to-heat avec stockage saisonnier, tandis que l’existence de surplus électriques en hiver est plus compatible avec le développement massif des PAC.

Il convient enfin d’ajouter que pour assurer un développement cohérent des infrastructures énergétiques dans le territoire, la mise en œuvre de ces variantes ne peut être envisagée sans une planification énergétique territoriale à l’échelle du canton coordonnée avec les politiques d’aménagement du territoire. Elle nécessite également une bonne coordination et communication entre tous les acteurs publics et privés impliqués : les consommateurs, les propriétaires de bâtiments, les milieux politiques et institutionnels, les professionnels de l’énergie, les hautes écoles, etc.

Le travail prospectif réalisé ne s’arrête pas avec les quantifications 2035 et 2050. Une mise à jour régulière est nécessaire pour prendre en compte les évolutions futures du marché et des technologies et quantifier leurs impacts sur les indicateurs énergétiques, climatiques et économiques. La démarche prospective doit être vue comme un outil pour la création et le suivi des politiques publiques à partir d’indicateurs simples et robustes, ce qui permet d’évaluer l’évolution du système et les impacts des différentes mesures. Enfin, un travail de prospective concernant l’évolution du marché électrique et gazier est nécessaire et doit prendre en considération les évolutions du marché européen.
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Figure 1 : diagrammes de flux [GWh/an] du marché de la chaleur corrigés climatiquement selon l’évolution tendancielle du climat.

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Figure 2 : évolution des inputs énergétiques en W/hab.


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Figure 3 : consommation d’énergie pour l’approvisionnement en chaleur entre 1975 et 2050. Données corrigées climatiquement selon l’évolution tendancielle du climat. Les barres d’incertitude pour l’années 2050 reproduisent les écarts relatifs aux différents scénarios.

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Figure 4 : évolution des émissions de CO2 totales (graphique de gauche) et par habitant (graphique de droite) du secteur de la chaleur à Genève entre 1975 et 2050. Données corrigées climatiquement selon évolution tendancielle du climat. Les barres d’incertitude pour l’années 2050 reproduisent les écarts relatifs aux différents scénarios. Insert : étude de sensibilité des émissions globales en 2050 selon le contenu CO2 électrique.

Remerciements/Financement

Cette étude a été réalisée grâce au soutien financier des Services industriels de Genève (SIG).

Références

[1] L. Quiquerez, Décarboner le système énergétique à l’aide des réseaux de chaleur : État des lieux et scénarios prospectifs pour le canton de Genève, 2017.

[2] L. Quiquerez, B. Lachal, M. Monnard et J. Faessler, Évaluation quantitative de scénarios de développement du marché de la chaleur à Genève à l’horizon 2035 : Quel rôle pour les réseaux de chaleur ?, 2016.

[3] L. Quiquerez, B. Lachal, M. Monnard et J. Faessler, The role of district heating in achieving sustainable cities : Comparative analysis of different heat scenarios for Geneva, The 15th international symposium on district heating and cooling, 2016.

[4] G. Branco, F. Oliveira, J. Faessler, A. Freyre, B. Grandjean, P. Hollmuller, B. Lachal, C. Lavallez, L. Quiquerez, E. Spierer et J. Strobel, Appui scientifique pour l’élaboration d’indicateurs pour le Plan cantonal de l’énergie (PDE) du canton de Genève, en cohérence avec les objectifs du Plan climat cantonal (PCC) - Données de base explicitées sous forme de posters synthétiques, Genève, 2020.

Liens

Rapport complet :
F. de Oliveira Filho, L. Quiquerez, M. Ruegg, M. Monnard, B. Lachal et P. Hollmuller, Évaluation quantitative de scénarios de développement du marché de la chaleur à Genève à l’horizon 2050 : Du fossile aux renouvelables, pistes pour décarboner le système thermique, 2020.

Fleury de Oliveira

Fleury de Oliveira

Fleury de Oliveira est titulaire d'un master en physique et d’un master en sciences de l'environnement et de l’énergie. Il travaille actuellement pour l'intégration des énergies renouvelables (notamment la géothermie) aux systèmes énergétiques existants comme adjoint scientifique au Groupe Systèmes énergétiques de l’Institut des sciences de l'environnement depuis 2015.

www.unige.ch/sysener/fr/equipe/fleury-de-oliveira

Loïc Quiquerez

Loïc Quiquerez

Loïc Quiquerez est chef de projet EnR-Géothermie aux Services industriels de Genève (SIG). Il est géographe-énergéticien (spécialisation réseaux de chaleur) et titulaire d'un doctorat de l'Université de Genève. Ce doctorat a fortement contribué à l'étude mentionnée dans cet article.

Marcel Ruegg

Marcel Ruegg

Directeur, responsable des relations académiques et institutionnelles aux Services industriels de Genève (SIG).

Michel Monnard

Responsable de la thermique aux Services industriels de Genève (SIG).

Bernard Lachal

Bernard Lachal

Après une première formation d’ingénieur physicien à Lyon et un doctorat en physique à l’Institut de physique de l’Université de Genève, Bernard Lachal poursuit ses recherches concernant les problèmes énergétiques au sein du Groupe de physique appliquée (GAP) et du Centre universitaire d’étude des problèmes de l’énergie (CUEPE) de cette même université. Il suit avec succès la formation postgrade sur l’énergie de l’EPFL et un passage de quelques mois au Politecnico de Milan complète son parcours. Jusqu'en 2017 il est responsable du Groupe Systèmes énergétiques de l’Institut des sciences de l'environnement, où il dirige des recherches sur la mesure, l'évaluation technico-économique et la modélisation de divers systèmes énergétiques de différentes tailles, spécialement dans le domaine de la thermique du bâtiment, de l’électricité et des énergies renouvelables.

Pierre Hollmuller

Pierre Hollmuller

Pierre Hollmuller est chargé de cours à l'Université de Genève. Sa carrière de recherche et d'enseignement dans le domaine des systèmes énergétiques s'est développée au sein de diverses universités (Université de Genève, Universidade de Lisboa Portugal, Universidade Federal de Santa Catarina Brésil). En collaboration avec le Prof. Martin Patel, il gère depuis 2010 le Partenariat de recherche entre les Services industriels de Genève (SIG) et l'Université de Genève, dans le domaine de l'efficacité énergétique et de l'intégration des énergies renouvelables.

www.unige.ch/sysener/fr/equipe/hollmuller

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