Biodiversité ‒ Une nouvelle carte du canton de Genève pour planifier la transition écologique

La biodiversité englobe l’ensemble de nos richesses naturelles ; elle est à la fois un patrimoine irremplaçable et le meilleur rempart face aux effets du changement climatique. Elle assure de nombreux services essentiels à la vie (services écosystémiques) : c’est par exemple grâce à la biodiversité que notre air et notre eau sont purifiés, que notre alimentation est produite et que nous bénéficions d’un environnement qui contribue à notre qualité de vie.

Nous savons aujourd’hui que le bon fonctionnement de nos sociétés dépend directement de celui de la nature. Et pour que la nature puisse assurer toutes ses fonctions et s’adapter aux changements, notre territoire doit veiller au maintien d’une infrastructure écologique en bonne santé. Celle-ci désigne l'ensemble des réservoirs de biodiversité – les sites les plus accueillants pour un grand nombre d'espèces animales et végétales – et des corridors biologiques qui relient ces lieux et assurent ainsi leur vitalité. Pour préserver et développer cette infrastructure, il faut identifier et classer par ordre de priorité les zones de grande valeur écologique, puis tenir compte de ces zones dans l’aménagement du territoire.

Dans un article paru le 13 février dans la revue Sustainability 1, une équipe de chercheurs de l’Université de Genève (UNIGE), des Conservatoire et jardin botaniques de la Ville de Genève (CJBG), de la Haute école du paysage, d’ingénierie et d’architecture de Genève (HEPIA), et de l’Université de Helsinki (Finlande), en partenariat avec la Ville et l’État de Genève, ont mis au point une méthode inédite qui analyse à la fois biodiversité et services rendus par les écosystèmes, pour identifier les sites les plus essentiels à la survie de tous les êtres vivants. Appli­quée au canton de Genève – où l’on recense plus de 40% des espèces qui existent en Suisse – cette méthode révèle les endroits à préserver en priorité pour le bénéfice de l’ensemble du territoire.
 

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Illustration de la méthode permettant de qualifier les zones du territoire en fonction de la biodiversité et des prestations écosystémiques prises en compte dans les critères de l'étude (en bleu les zones prioritaires).

En 2018, le canton de Genève a fixé dans sa Stratégie Biodiversité 2030 l’objectif de se doter d’une infrastructure écologique en identifiant notamment les 30% du territoire les plus importants pour le maintien de la biodiversité et ses fonctions (en bleu et turquoise sur la carte). De ce fait notre environnement naturel, qui souffre déjà des changements climatiques en cours, pourra mieux faire face au réchauffement global et aux événements météorologiques extrêmes. Cette infrastructure contribuera aussi à contenir la hausse des températures à Genève par un effet thermo-régulateur.

Infrastructure écologique : répondre aux engagements internationaux

Des objectifs similaires en vue de l’élaboration d’une infrastructure écologique ont été fixés aux échelles suisse, européenne, et internationale. Le canton de Genève va ainsi au-delà des ambitions du Protocole de Nagoya, ratifié par la Suisse, qui prévoit que chaque pays doit assurer la conservation de réserves naturelles terrestres couvrant au moins 17% de son territoire. En effet, protéger uniquement les réservoirs de biodiversité ne suffit pas pour préserver la diversité des espèces et des milieux. Il est impératif d'assurer leur connexion par des corridors biologiques qui doivent aussi être pris en compte dans une proportion estimée à 13%. C'est pour cette raison que la Stratégie Biodiversité du canton de Genève vise à maintenir une infrastructure écologique en bonne santé correspondant à 30% du territoire. De cette manière, la pérennité d'une part majeure de la diversité des espèces et des écosystèmes serait assurée durablement.

Une méthode inédite pour combiner le "big data" du patrimoine naturel

Identifier ces portions sensibles du territoire constitue un véritable défi, car il faut tenir compte des multiples dimensions de la biodiversité. Pour localiser les aires prioritaires de conservation, les équipes de recherche ont combiné une quantité colossale de données numériques et géolocalisées relatives à notre patrimoine naturel. Ils ont tenu compte de la distribution de plus de 900 espèces de plantes et d’animaux, mais aussi des interconnexions nécessaires aux espèces pour se déplacer, se nourrir et se reproduire, ainsi que de neuf services écosystémiques rendus par la biodiversité, par exemple la régulation de la qualité de l’air, la pollinisation des plantes cultivées, le contrôle de l’érosion des sols, et la capture du CO2. Toutes ces informations ont été intégrées dans un logiciel de priorisation spatiale qui attribue à chaque élément du territoire (avec une résolution spatiale de 25x25 mètres) une valeur relative de priorité située entre 1 et 100. La carte couvrant l'ensemble du canton permet d’identifier les endroits où il faut maintenir, développer ou reconstituer l'infrastructure écologique en priorité. La prise en compte des services écosystémiques, prévue dans la méthode, permet de dessiner une infrastructure écologique multifonctionnelle dont l’utilité dépasse la conservation de la biodiversité pour inclure les bienfaits dont notre société tire parti.

Visualiser les zones de conservation prioritaires

Cette carte nous indique qu’environ la moitié seulement des réservoirs de biodiversité se trouve dans des aires dont la protection est suffisamment assurée : réserves naturelles, forêt publique ou zones non-constructibles. Les autres se situent sur des zones qui ne sont pas à l'abri de dégradations, comme par exemple des parcelles privées mais aussi certaines parcelles publiques sans statut de protection ou suivi particulier. Ces zones identifiées pourront faire l'objet de plus d'attention et de mesures particulières pour assurer le maintien de leurs fonctionnalités.

L’État et les Hautes écoles s’allient pour la transition écologique

À l’heure actuelle, les infrastructures humaines (routes, bâtiments, canalisations, etc.) sont encore trop souvent mises en place en morcelant, altérant ou détruisant l’infrastructure écologique nécessaire à la biodiversité et au fonctionnement des écosystèmes. Ce projet prévoit d’être dynamique afin de répondre concrètement aux besoins de l’État et des collectivités publiques en matière de planification de l’aménagement du territoire, notamment en identifiant les enjeux territoriaux dans ce domaine. Les résultats de cette recherche pourront ainsi contribuer à la mise en œuvre du premier Plan Biodiversité du canton de Genève, qui couvrira la période 2020-2023. Il existe des objectifs similaires au niveau national, mais le canton de Genève joue un rôle pionnier avec la mise en œuvre d’un tel plan d’action. L’UNIGE va d’ailleurs partager son expérience dans le cadre d’un projet similaire au niveau fédéral, financé par le plan d’action de la Stratégie Biodiversité Suisse.

Notes

1 Implementing Green Infrastructure for the Spatial Planning of Peri-Urban Areas in Geneva, Switzerland. doi:10.3390/su12041387.

Contacts

Erica Honeck, assistante à l’Institut des sciences de l’environnement de l’Université de Genève.
Anthony Lehmann, professeur associé à l’Institut des sciences de l’environnement de l’Université de Genève.
Nicolas Wyler, conservateur aux Conservatoire et jardin botaniques de la Ville de Genève.
Claude Fischer, professeur HES associé à la Haute école du paysage, d’ingénierie et d’architecture de Genève.
Bertrand von Arx, directeur du Service de la biodiversité – Office cantonal de l’agriculture et de la nature (OCAN), Département du territoire de l’État de Genève.

Erica Honeck

Erica Honeck

Erica Honeck est doctorante à l'Université de Genève et travaille sur l'élaboration d'une infrastructure écologique au niveau national. Dans le cadre de sa thèse, elle étudie notamment la modélisation des services écosystémiques, ainsi que l'utilisation d'indicateurs dérivés des variables essentielles pour la biodiversité (Essential Biodiversity Variables) pour l'infrastructure écologique.

Anthony Lehmann

Anthony Lehmann

Prof. Anthony Lehmann is associate professor, vice-director of ISE and leading the enviroSPACE team on Spatial Predictions and Analyses in Complex Environment. His main interest if to transform raw data from EO into useful indicators to improve our capacity to inform environmental policy. He is mostly working on biodiversity and hydrology to measure these natural capitals and their ecosystems services to inform spatially the Nexus of Climate-Water-Food-Energy-Ecosystems and the Broader Sustainable Development Goals.

www.unige.ch/envirospace/people/lehmann

Bertrand von Arx

Bertrand von Arx

Bertrand von Arx, biologiste, est directeur de la biodiversité à la Direction Générale de l'Agriculture et de la Nature (DGAN) de l'État de Genève. Il doit garantir la promotion de la biodiversité et des services écosystémiques qu'elle rend dans tous les domaines au bénéfice de la population. Il représente l'autorité légale pour la protection de la faune, la flore, les milieux naturels remarquables et les corridors biologiques. À ce titre, il pilote la mise en place de l'infrastructure écologique locale et transfrontalière basée sur le Plan d'action de la Stratégie Biodiversité Genève (SBG-2030).

Nicolas Wyler

Nicolas Wyler

Nicolas Wyler, docteur en biologie, est conservateur aux Conservatoire et Jardin Botaniques de la Ville de Genève. Outre sa charge de gestionnaire de l'herbier, il s'intéresse à la conservation de la biodiversité au niveau local. Il gère le référentiel de la biodiversité végétale genevois et dirige le programme de monitoring de la flore et des milieux naturels. En étroite collaboration avec la DGAN, il s'assure de la diffusion des connaissances botaniques dans les prises de décisions. Il est très impliqué dans le projet d'infrastructure écologique pour Genève.

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