Retour d'expérience énergétique sur le quartier des Vergers à Meyrin (Genève)

Dans le canton de Genève, le secteur résidentiel est responsable d’environ un quart des émissions totales de CO2. Afin de réduire cet impact environnemental, le Plan directeur de l’énergie 2020-2030 prévoit de réduire la consommation énergétique des bâtiments et d’augmenter la part d’énergie renouvelable utilisée pour l’approvisionnement en chaleur, notamment via le développement des réseaux de chaleur.

En accord avec ces objectifs, l’écoquartier "Les Vergers" situé à Meyrin a vu le jour entre 2013 et 2020. Il est composé de 33 bâtiments à haute performance énergétique (Minergie A® et/ou Minergie P®), dont la principale source de chaleur est un réseau de chauffage à distance (CAD) basse température. Ce dernier est alimenté en majeure partie par une pompe à chaleur (PAC) permettant de valoriser deux ressources : les eaux souterraines de la nappe du Rhône et les rejets de chaleur de la zone industrielle voisine (ZIMEYSA). Comme illustré ci-dessous, l’eau pompée aux puits de Peney sert tout d’abord au refroidissement d’activités industrielles de la ZIMEYSA (réseau de froid à distance). Elle est ensuite utilisée comme source de chaleur pour la PAC de la centrale thermique des Vergers, avant d’être rejetée dans le lac des Vernes pour finalement être restituée à la nappe du Rhône. En plus de la PAC centralisée, le réseau de chaleur du quartier est également alimenté par le réseau structurant haute température des SIG (CADSIG). La chaleur distribuée par ce dernier provient d’une part de l’incinération des déchets des Cheneviers, et d’autre part de chaudières à gaz de la chaufferie du Lignon. L’objectif du projet est de produire plus de 80% de la chaleur du réseau des Vergers avec la PAC centralisée, afin de maximiser la proportion d’énergie renouvelable utilisée dans l’approvisionnement en chaleur.

En vue de l’importance stratégique de ce projet novateur, les Services industriels de Genève, l’Office cantonal de l’énergie et la Ville de Meyrin ont mandaté l’Université de Genève pour un suivi de 4 ans du quartier.

Fig1
Figure 1 : illustration du concept énergétique de l’écoquartier des Vergers.

Ce retour d’expérience permet de mettre en évidence les points forts et faibles d’un tel système, de dégager des pistes d’amélioration possibles et d’étudier le potentiel de généralisation de ce concept. Les sections qui suivent présentent quelques résultats extraits du rapport final du projet 1.

Bilan énergétique des bâtiments

Les besoins de chaleur d’un échantillon de 23 des 33 bâtiments ont été étudiés en détail (voir ci-dessous). La demande de chaleur totale varie d’un bâtiment à l’autre, allant de 40 kWh/m².an à près de 115 kWh/m².an. La demande totale moyenne est de 72.3 kWh/m².an, ce qui est légèrement inférieur à la moyenne genevoise des bâtiments construits après 2010 (80 kWh/m².an). La demande d’eau chaude sanitaire moyenne est de 25.6 kWh/m².an (sur 13 bâtiments), ce qui est faible par rapport aux valeurs standards.

Fig2
Figure 2 : bilan thermique d’un échantillon de 23 bâtiments du quartier.


En revanche, la plupart des bâtiments du quartier consomment significativement plus que la consommation théorique indiquée par leur certification Minergie, jusqu’à 3 fois plus (écart de 300%). Les mesures ont montré que cet écart de performance est fortement lié à la température extérieure à laquelle le chauffage du bâtiment s’enclenche (axe horizontal du graphique ci-dessous). Ces bâtiments étant munis d’une enveloppe thermique performante, ils ne devraient pas avoir besoin de chauffage lorsque la température extérieure est supérieure à 15°C. Les bâtiments ayant une température de non-chauffage supérieure à 15°C méritent donc une optimisation.

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Figure 3 : relation entre la température de non-chauffage et l’écart de performance pour deux années de mesure.

Bilan thermique et performance énergétique de la centrale thermique

Sur la période allant du 1er juillet 2019 au 1er juillet 2020, la pompe à chaleur de la centrale des Vergers couvre 83% des besoins de chaleur du réseau de quartier. Les 17% restants sont couverts par le CAD haute température (CADSIG).

La consommation électrique de la PAC est de 1.8 GWh pour une production de chaleur de 4.8 GWh, ce qui donne un coefficient de performance (COP) de 3.65. Cette production de chaleur nécessite une augmentation du débit de l’eau pompée dans la nappe par rapport à la seule couverture des besoins de rafraîchissement de la zone industrielle. Si l’on inclut la surconsommation d’électricité due à cette augmentation de débit dans le bilan, le COP du système complet de production de chaleur chute à 2.55. Toutefois, l’impact de cette électricité de pompage devrait diminuer dans le futur grâce au raccordement de nouveaux bâtiments ayant des besoins de chaleur ou de rafraîchissement. Par ailleurs, il faut noter que l’électricité de pompage pèse aussi lourd dans le bilan en partie à cause de la distance et du différentiel d’altitude importants entre le site de pompage et le quartier.

Figure4
Figure 4 : bilan électrique annuel du réseau de froid à distance (FAD) de la zone industrielle et du réseau de chauffage à distance (CAD) des Vergers.

Un bilan électrique global et bilan CO2

Les bâtiments du quartier sont équipés d’environ 12'000 m² de panneaux photovoltaïques (PV). Si l’on fait l’hypothèse que toute l’électricité produite est partagée au sein du quartier, on estime que 23% des besoins électriques sont couverts par de la production locale. De plus, 82% de l’électricité produite est directement consommée sur place (autoconsommation), plutôt qu’exportée sur le réseau électrique.
 

Fig
Figure 5 : bilan électrique annuel du quartier (issu de mesures en situation d’usage réel, complétées par des estimations).


Les bilans horaires thermiques et électriques permettent de quantifier les émissions de CO2 attribuables à la consommation énergétique du quartier, en tenant compte de la production de chaleur, de la consommation électrique des bâtiments et de la production photovoltaïque. Les émissions liées à la consommation d’électricité sont évaluées à partir de moyennes horaires du modèle Horocarbone de l’Université de Genève 2. Ce modèle estime le contenu horaire du mix consommateur suisse en tenant des importations et des moyens de production mis en œuvre dans les pays avoisinants.

Au total, les émissions annuelles s’élèvent à 1'271 tCO2eq pour la période étudiée, dont 611 tCO2eq attribuable à la consommation d’électricité des bâtiments et 653 tCO2eq à la production de chaleur. Ces émissions liées à la production de chaleur représentent environ 65 gCO2eq par kWh thermique produit, ce qui est nettement inférieur à l’utilisation seule du CAD haute température (133 gCO2eq/kWh) ou d’une chaudière à gaz (228 gCO2eq/kWh).

Le recensement de juin 2021 fait état de 3'221 habitants sur le quartier, ce qui devrait approximativement correspondre au nombre d’habitants du quartier une fois totalement terminé. L’ordre de grandeur des émissions (directes + indirectes) par personne est de 0.39 tCO2eq/hab.an. Ceci ne comptabilise ni la mobilité ni les biens de consommation.

Fig6
Figure 6 : bilan des émissions de CO2 du quartier et comparaison avec d’autres approvisionnements de chaleur.

Conclusions

Les résultats montrent que l’écoquartier des Vergers s’avère en phase avec le plan directeur de l’énergie du canton de Genève, tant sur le front de l’efficacité énergétique des bâtiments que de l’intégration massive d’énergies renouvelables. Si ce retour d’expérience a permis de relever des pistes d’amélioration possibles pour le cas d’étude en question, il devrait surtout permettre de tirer des enseignements utiles pour le déploiement de futurs systèmes de ce type. Les enjeux liés à ces enseignements sont importants, car les pompes à chaleur alimentant des réseaux de chauffage à distance sont appelées à se développer de façon significative ces prochaines années.

L’écoquartier des Vergers : chiffres et résultats clefs

  • 33 bâtiments Minergie A® et/ou Minergie P®, 1'350 logements + activités, 170'000 m2 de surface chauffée.
  • Un concept innovant de production de chaleur avec une pompe à chaleur (PAC) centralisée de 5 MW qui puise sa source dans la nappe souterraine du Rhône.
  • Les besoins de chaleur des bâtiments du quartier sont inférieurs à la moyenne genevoise des bâtiments récents, mais un important potentiel d’économie existe.
  • Le coefficient de performance (COP) annuel de la pompe à chaleur est de 3.65. Si on inclut l’électricité de pompage, le COP du système est de 2.55.
  • Les 12'000 m2 de panneaux photovoltaïques produisent 23% de l’électricité consommée par le quartier (production de chaleur et bâtiments), et 82% de cette électricité pourrait être consommée sur place.
  • L’alimentation du réseau de chaleur à distance avec cette pompe à chaleur est 2 à 2.5 fois moins émettrice de CO2 qu’une solution de raccord au réseau structurant (CADSIG), et 3.5 à 4.5 fois moins émettrice que l’utilisation d’une chaudière à gaz.


Références

1  S. Schneider, P. Brischoux, P. Hollmuller, Retour d’expérience énergétique sur le quartier des Vergers à Meyrin (Genève), Université de Genève, 2022.

2  E. Romano, P. Hollmuller, M. Patel, Émissions horaires de gaz à effet de serre liées à la consommation d’électricité – une approche incrémentale pour une économie ouverte : Le cas de la Suisse, Université de Genève, 2018.

Crédit photo

GlobalVision Communication, www.globalvision.ch.
 

Stefan Schneider

Stefan Schneider

Titulaire d'un doctorat en mathématiques appliquées, Stefan Schneider a travaillé à l'Université de Genève de 1990 à 1999 comme assistant en analyse numérique et comme maître-assistant en génétique des populations. Après 15 ans d'expérience professionnelle dans le privé, il poursuit actuellement sa carrière à l'Université de Genève comme collaborateur scientifique et travaille au sein de l'Institut des sciences de l'environnement depuis 2014. Il a participé de 2014 à 2017 au projet FEEB&D sous la responsabilité des professeurs Bernard Lachal et Martin Patel. Depuis 2017 il travaille sur divers projets liés au Partenariat de recherche entre les Services industriels de Genève (SIG) et l'Université de Genève, sous la responsabilité du Dr. Pierre Hollmuller.

www.unige.ch/sysener/fr/equipe/schneider

Pauline Brischoux

Pauline Brischoux

Titulaire d'un diplôme d'ingénieur en Mécanique et d'un master (MScA) en Mécanique, Pauline Brischoux est adjointe scientifique au sein du Groupe systèmes énergétiques depuis 2019. Elle mène ses recherches à l'Université de Genève dans le domaine de l'efficacité énergétique et de l'intégration des énergies renouvelables, notamment sur les réseaux d'énergie urbains et les pompes à chaleur.

www.unige.ch/sysener/fr/equipe/pauline-brischoux

Pierre Hollmuller

Pierre Hollmuller

Pierre Hollmuller est chargé de cours à l'Université de Genève. Sa carrière de recherche et d'enseignement dans le domaine des systèmes énergétiques s'est développée au sein de diverses universités (Université de Genève, Universidade de Lisboa Portugal, Universidade Federal de Santa Catarina Brésil). En collaboration avec le Prof. Martin Patel, il gère depuis 2010 le Partenariat de recherche entre les Services industriels de Genève (SIG) et l'Université de Genève, dans le domaine de l'efficacité énergétique et de l'intégration des énergies renouvelables.

www.unige.ch/sysener/fr/equipe/hollmuller

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