Trois nouvelles espèces d'araignées découvertes en Suisse

De la classe des arachnides, les araignées, pourvues de 8 pattes, de 6 ou 8 yeux selon les espèces, de chélicères contenant des crochets à venin, de filières permettant de produire de la soie, sont des êtres souvent mal aimés et mal connus en Suisse. Pourtant, les araignées sont des acteurs essentiels de nos écosystèmes : prédateurs efficaces d’insectes ou d’elles-mêmes, elles contribuent à réguler naturellement les populations d’arthropodes nuisibles à l’homme, comme les ravageurs des cultures1. En outre, l’étude de leur diversité révèle l’état écologique des milieux grâce à la présence ou l’absence de certaines espèces exigeantes quant à la qualité de leur habitat2.

En Suisse, le statut de ce groupe particulier le rend intéressant à étudier : l’état des connaissances sur la faune aranéologique est relativement bon, mais encore bien des choses restent à découvrir. Par exemple, la répartition de beaucoup d’espèces est à compléter. Historiquement, différents arachnologues ont contribué à développer la connaissance des araignées de Suisse, mais depuis peu, la relève se fait de plus en plus rare3,6.

Trois nouvelles espèces identifiées en Suisse

Récemment, trois espèces d’araignées jusqu’ici inconnues du territoire suisse ont été observées pour la première fois dans le canton de Genève et ont fait l’objet d’une étude4 :

  • Philodromus pinetorum
    Membre de la famille des Philodromidae qui chassent sans toile et sont connues pour leur rapidité, Philodromus pinetorum est de couleur grisâtre et a un corps aplati, ce qui le rend adapté à la chasse sur les troncs d’arbres, souvent des conifères, et lui permet de se camoufler au milieu des lichens. Philodromus pinetorum est surtout présent dans le sud de l’Europe. Il est difficile de dire si cette espèce est en expansion géographique ou si l’espèce a été confondue dans le passé, puisque c’est en 2009 quelle a été décrite et distinguée d’une espèce proche.
     
  • Tetragnatha shoshone
    Les tétragnathes sont des araignées au corps élancé et aux longues pattes fines qui abondent souvent sur la végétation des zones humides. Tetragnatha shoshone était d’abord connue d’Amérique du Nord, puis plus récemment d’Europe. Initialement, les arachnologues pensaient que c’était une espèce introduite du nouveau continent, mais en réalité elle est aussi indigène sur le vieux continent. Cette espèce vit sur la végétation basse au-dessus de points d’eau comme des étangs, qui ne s’assèchent pas pendant l’année. Un micro-habitat rarement échantillonné par les arachnologues, mais également menacé par les changements climatiques.
     
  • Theridion hannoniae
    Cette petite espèce de Theridiidae d’environ 2 mm est originaire du bassin méditerranéen, mais des observations récentes dans le nord de l’Europe attestent d’introductions liées au transport de gravats5. À Genève, elle a été observée dans le parc de la Perle du Lac, ayant potentiellement été amenée avec des transports de graviers pour la construction de nouvelles plages au bord du Léman.

Mieux connaître pour mieux protéger

Grâce à cette étude4 l’arachnofaune du canton de Genève est désormais constituée de 448 espèces, c'est quasiment la moitié de celle de la Suisse. La présence de ces espèces démontre que notre faune locale est plus riche qu’on ne le pensait. Découvrir de nouvelles espèces et approfondir nos connaissances sur celles déjà connues aide à mieux protéger les habitats qui les abritent. Cela démontre également que créer des habitats, comme des étangs, favorise la biodiversité incluant des espèces d’araignées rares et exigeantes. De plus, actuellement aucune liste rouge des araignées n’existe en Suisse ; ces données sont donc importantes pour aider à mieux connaître leur répartition et leur futur statut. En outre, certaines espèces, non originaires de Suisse, permettent de démontrer qu’avec le transport de marchandises ou le réchauffement climatique des espèces sont en expansion, ce qui pourrait bouleverser l’équilibre des espèces indigènes. Leur suivi fournit des signaux précoces de déplacements faunistiques en Suisse.

Encourager la recherche et les naturalistes

Il est important d’encourager les chercheurs-euses et naturalistes à multiplier les relevés, pour continuer à développer les connaissances sur ce groupe peu connu. Pour cela, il est primordial de favoriser la formation des jeunes étudiant-e-s à l’étude de ce groupe. Étudier l’aranéofaune locale permet de mieux comprendre comment nos écosystèmes, déjà sous pression6, fonctionnent et l’impact de ces espèces sur les équilibres locaux, ou leur potentiel de biocontrôle d’arthropodes ravageurs1.

Notes

1 Projet Auxi-Gen : mieux connaître les insectes utiles pour l’agriculture.
2 Pozzi S., Gonseth Y. & Hänggi A. (1998). Évaluation de l’entretien des prairies sèches du plateau occidental suisse par le biais de leurs peuplements arachnologiques (Arachnida : Araneae). Revue suisse de zoologie, 105 : 465-485.
3 Taxonomists are an endangered species.
4 Loria P. (2025). Premières mentions de Philodromus pinetorum Muster, 2009, Tetragnatha shoshone Levi, 1981 et Theridion hannoniae Denis, 1945 en Suisse et captures d’espèces notables (Araneae). Entomo Helvetica, 18 : 75-90.
5 Lissner J. & Jonsson L. J. (2022). The comb-footed spider Theridion hannoniae Denis, 1945 in Sweden and Denmark. Newsletter of the British Arachnological Society, 154 : 2-4.
6 OFEV & InfoSpecies (2023). Espèces et milieux menacés en Suisse. Synthèse des listes rouges. Berne : Office fédéral de l’environnement (OFEV), 147 p. (État de l’environnement – Biodiversité, UZ-2305-F).

Image d’illustration : Philodromus pinetorum (photo : Pierre Loria, 2024)

Pierre Loria

Pierre Loria

Préparateur technique en arachnologie à l’Université de Genève (projet Auxi-Gen), Pierre Loria identifie les araignées au niveau spécifique et développe des bases de données. Également arachnologue indépendant et expert national, il effectue des inventaires et des expertises pour des musées, universités ou associations. Animateur nature et photographe, Pierre Loria promeut la biodiversité et contribue à la conservation, en valorisant l’importance écologique et la non-dangerosité des araignées.

pierreloria.ch

Partager cet article

Nous vous suggérons