Comment la végétation suisse évolue-t-elle face aux changements climatiques ?

À cause de sa situation géographique, la Suisse est particulièrement touchée par les changements climatiques. Ces effets sont certes visibles sur plusieurs paramètres météorologiques. Mais ils le sont plus clairement dans l’étude des températures, qui montre une augmentation des températures de 2.1°C depuis le début des mesures en 1864. Comme le laissent voir de nombreux épisodes de sécheresse (2003, 2010, 2013, 2015 et 2018), les températures estivales ne cessent d’augmenter, impactant les forêts déjà relativement sèches aujourd’hui. À l’aide de l’analyse d’images satellitaires, des chercheurs (Schuldt et al., 2020) ont montré les répercussions de ces événements secs et chauds sur les forêts tempérées. De tels phénomènes climatiques ont marqué un changement dans la dynamique forestière (Schuldt et al., 2020) et ils deviendront de plus en plus fréquents à l’avenir. Il est en ce sens primordial de pouvoir comprendre l’impact de ces changements sur la végétation afin de prendre les mesures nécessaires favorisant l’adaptation et l’atténuation de ces phénomènes sur le territoire helvétique.

La télédétection, outil précieux pour le suivie de la végétation

Depuis les années 70, les observations de la Terre à différentes échelles spatio-temporelles offrent des données de qualité pour évaluer l’état passé, présent et futur de notre environnement. La télédétection représente un instrument précieux pour suivre et mesurer l’état de la végétation ainsi que pour étudier l’impact de la sécheresse sur la végétation. Des indices de végétation sont d’ailleurs fréquemment utilisés pour estimer des paramètres biophysiques caractéristiques des couverts végétaux. L’indicateur Normalized Water Difference Index (NDWI) a par exemple été développé pour détecter la teneur en eau des feuilles (Gao, 1996). Cet indicateur utilise les réflectances du proche infrarouge (NIR) et de l’infrarouge moyen (SWIR) selon la formule suivante :

NDWI = (NIR - SWIR) / (NIR + SWIR)

Les valeurs du NDWI sont comprises entre -1 et +1. Les valeurs négatives indiquent des régions avec un faible couvert végétal ou de la végétation morte. Les valeurs positives correspondent quant à elles à de la végétation dense en haute contenance en eau ainsi que des surfaces aquatiques ou neigeuses. Le NDWI permet de déceler la végétation lorsque celle-ci est en état de stress hydrique. Il est par conséquent très utile pour le suivi de la végétation dans un contexte de changement climatique.

Évolution du contenu en eau dans la végétation suisse depuis les années 80

Une étude menée par des chercheurs de l’Université de Genève et de l’Institut fédéral de recherches sur la forêt, la neige et le paysage (WSL) a montré l’évolution du contenu en eau de la végétation suisse au cours des trois dernières décennies. Pour récolter ces données, les chercheurs ont utilisé des séries temporelles annuelles et saisonnières de NDWI à différentes échelles spatiales (nationale ou de zone biogéographique, par exemple). Dans le cadre de cette recherche, Poussin et al. (2021) se sont référés aux données Landsat issues du Swiss Data Cube (SDC – www.swissdatacube.ch) disponibles depuis 1984. Le SDC est une plateforme rassemblant plus de 38 ans de données satellitaires optiques (par exemple Landsat-5, -7, -8 ; Sentinel-2) et radar (par exemple Sentinel-1) prêtes à l’exploitation.

L’analyse de l’évolution moyenne du NDWI à l’échelle nationale pour la période 1984-2019 a montré une faible diminution de l’indice. Cette diminution est particulièrement visible à basse et moyenne altitude et dans certaines régions de la Suisse. En effet, accueillant plus de 50% des forêts suisses, les Alpes du Sud sont particulièrement affectées par des épisodes de sécheresse. Ces épisodes montrent un déclin significatif de la teneur en eau dans la végétation entre 1984 et 2019. L’analyse à différentes échelles spatiales (par exemple celle de la zone biogéographique) montre que la variabilité et l’évolution du NDWI dépendent fortement du type de végétation présent ainsi que de la situation géographique (Kueppers et al., 2017). Par exemple, les zones de végétation situées dans des régions soumises à de fortes précipitations et à un climat plus froid – comme le nord des Alpes – sont moins impactées par un stress hydrique (Scherler, Remund et Walthert, 2016).

Afin de déceler d’éventuelles périodes de stress hydrique, une étude de l’anomalie du NDWI représentant l’écart d’une période donnée par rapport à la moyenne à long terme (1984-2019) a été menée. Entre les années 2000 et 2010, l’analyse a illustré des situations particulièrement sèches sur l’ensemble du territoire helvétique. Les anomalies du NDWI pour la période estivale pour les années 2003 et 2018 démontrent dès lors clairement l’impact des vagues de chaleur sur le contenu en eau de la végétation (Figure 1). La canicule de 2003 a affecté toute l’Europe et a eu des impacts significatifs sur l’agriculture (Fink et al., 2004). Plus récemment, l’année 2018 a montré de fortes températures estivales associées à de faibles précipitations laissant des traces visibles sur la végétation. Les feuillus – plus particulièrement les hêtres – ont perdu précocement leur feuillage, offrant prématurément un paysage automnale à nos forêts.

Figure 1

Figure 1 : Anomalie absolue du NDWI moyen saisonnier pour les années 2003 et 2018 comparé à la période de référence (1984-2019). Les zones blanches représentent les zones sans données.

Les données de NDWI utilisées dans cette étude montrent en ce sens une bonne corrélation avec les données climatiques (températures et précipitations). Plus particulièrement, le NDWI semble spécialement influencé par la température à des altitudes qui se trouvent en dessous de 2000 m (sous la limite des arbres). La relation entre l’indice de sécheresse et les précipitations est moins claire et laisse penser que cette dernière possède un impact indirect sur la teneur en eau dans la végétation. De même, il est important de garder à l’esprit que d’autres facteurs que les variables climatiques influencent l’évolution du NDWI. Les changements d’utilisation du sol, l’évapotranspiration ou encore la présence de maladie peuvent également expliquer la variabilité du NDWI.

Les résultats de cette étude montrent que les changements climatiques ont des répercussions sur la teneur en eau de la végétation suisse. De même, la télédétection reste un outils très précieux pour le suivi de notre environnement. Cette technologie contribue ainsi à la connaissance de notre territoire et offre aux gouvernements des informations synthétiques et explicites précieuses pour comprendre l’impact de nos modes de vie sur l’environnement naturel. En les combinant à des modèles de projections climatiques, les données satellitaires permettent une meilleure gestion de notre environnement ainsi qu’une adaptation aux changements climatiques et aux vagues de chaleur attendues.

Références

Fink A.H., Brücher T., Krüger A., Leckebusch G.C., Pinto J.G., & Ulbrich U. (2004). "The 2003 European Summer Heatwaves and Drought – Synoptic Diagnosis and Impacts". Weather, 59(8), 209-216.

Gao B. (1996). "NDWI – A Normalized Difference Water Index for Remote Sensing of Vegetation Liquid Water from Space". Remote Sensing of Environment, 58(3), 257-266.

Kueppers L.M., Conlisk E., Castanha C., Moyes A.B., Germino M.J., de Valpine P., … Mitton J.B. (2017). "Warming and Provenance Limit Tree Recruitment across and beyond the Elevation Range of Subalpine Forest". Global Change Biology, 23(6), 2383-2395.

Scherler M., Remund J., & Walthert L. (2016). Régime hydrique des forêts et accroissement de la sécheresse.

Schuldt B., Buras A., Arend M., Vitasse Y., Beierkuhnlein C., Damm A., Gharun M., Grams T.E.E., Hauck M., Hajek P., Hartmann H., Hiltbrunner E., Hoch G., Holloway-Phillips M., Körner C., Larysch E., Lübbe T., Nelson D.B., Rammig A., Rigling A., Rose L., Ruehr N.K., Schumann K., Weiser F., Werner C., Wohlgemuth T., Zang C.S., Kahmen A. (2020). "A First Assessment of the Impact of the Extreme 2018 Summer Drought on Central European Forests". Basic and Applied Ecology, 45(June), 86-103.

Poussin C., Massot A., Ginzler C., Weber D., Chatenoux B., Lacroix P., Piller T., Nguyen L., & Giuliani G. (2021). "Drying conditions in Switzerland – Indication from 35-year Landsat time series analysis of vegetation water content estimates to support SDGs". Big Earth Data, 5(4), 445-475.

Charlotte Poussin

Charlotte Poussin

Charlotte Poussin is a PhD student at the University of Geneva/Institute for Environmental Sciences & GRID-Geneva. Her research topic is on assessing and monitoring the impacts of climate change in Switzerland using time series analyses in the Swiss Data Cube.

Gregory Giuliani

Gregory Giuliani

Dr. Gregory Giuliani is a lecturer in Earth Observations and Spatial Data Infrastructure at the University of Geneva/Institute for Environmental Sciences. He is sharing his time with UN Environment/GRID-Geneva where he is the SDI Officer and leads the Swiss Data Cube project. Dr. Giuliani is particularly interested in how Earth observations can be used to monitor and assess environmental changes and support sustainable development.

www.unige.ch/envirospace/people/giuliani

Partager cet article

Nous vous suggérons