Comment les algues réagissent-elles aux tempêtes et au changement climatique ?
Les lacs abritent de nombreuses espèces tout en nous fournissant de l’eau potable à boire et un joli cadre où nager. À la base de leur chaîne alimentaire on trouve les plantes aquatiques et le phytoplancton (communément connu sous le nom d’algues). Le phytoplancton a besoin de carbone, de nutriments et de lumière du soleil pour se développer, servant ainsi de nourriture au plancton animal qui, à son tour, se fera engloutir par des poissons, qui se feront manger par des poissons plus grands. On pourrait ainsi dire que le rôle du phytoplancton dans les lacs est similaire à celui de l’herbe dans une prairie. Une augmentation de nutriments provenant, par exemple, des terres agricoles autour du lac peut provoquer une croissance excessive de phytoplancton, allant jusqu’à rendre l’eau toxique pour les animaux domestiques et même pour les humains. Il n’est donc pas surprenant que le suivi des dynamiques de croissance du phytoplancton soit un point clé pour la gestion des lacs.
Toutefois, les conditions météorologiques ont aussi un fort impact sur la croissance du phytoplancton : le phytoplancton a besoin de lumière pour croître et a tendance à accélérer son développement quand la température de l’eau augmente. Un facteur qui est moins connu et pourtant d’une grande importance est l’état de mixité de l’eau. Si vous avez plongé dans un lac profond (un lac où le fond se trouve à plus de 10 m), vous avez sans doute constaté que la couche supérieure d’eau est bien plus tempérée que la partie plus profonde ! Ce phénomène, qui a lieu surtout en été, s’appelle stratification et est dû à la différence de poids entre l’eau chaude de la surface (plus légère) et l’eau froide, qui reste ainsi en profondeur. La stratification aide le phytoplancton, qui ne sait pas nager, à rester suffisamment en surface pour avoir accès à la lumière du soleil. Cependant, la stratification garde une partie des nutriments nécessaires à la croissance du phytoplancton dans la couche d’eau plus profonde ; ces nutriments ne seront accessibles que lorsque l’eau de la couche supérieure se refroidira suffisamment pour permettre aux deux couches de se mélanger à nouveau.
Le changement climatique amène sans aucun doute des eaux plus chaudes en surface et prolonge la durée des périodes de stratification. De plus, la différence de température entre les couches supérieure et inférieure augmente, rendant plus difficile un mélange des couches par des épisodes venteux. Néanmoins, les rapports du GIEC montrent aussi une augmentation de l’intensité et de la fréquence d’événements extrêmes, comme les tempêtes de vent. Des scientifiques de l’Institut des sciences de l’environnement de l’Université de Genève ont collaboré avec une équipe internationale pour étudier l’effet des rafales de vents violents sur la croissance du phytoplancton. Les forts épisodes venteux peuvent mélanger les couches d’eau pendant la période de stratification, plongeant une partie du phytoplancton à une profondeur où il n’a plus accès à la lumière dont il a besoin pour croître. Cependant, ce mélange d’eau fait aussi remonter à la couche superficielle des nutriments qui se trouvaient hors de portée pour le phytoplancton. À cause de ces phénomènes, en quelque sorte contradictoires entre eux, il est très rare que l’on arrive à prédire comment le phytoplancton va réagir à un épisode de vent violent. Dans certains cas, les scientifiques ont observé une augmentation de la concentration de phytoplancton après un épisode de forts vents et dans d’autres cas ils ont constaté une diminution du phytoplancton.
L’étude, dont les résultats ont été publiés récemment, avait pour but de mieux comprendre quels sont les facteurs dominants dans la réaction du phytoplancton aux épisodes de vents violents pendant la période de stratification. Puis, d’analyser les tendances sous l’effet du changement climatique. Des expériences de cette ampleur sont très difficiles à réaliser en laboratoire et presque impossibles directement dans un lac. Qui plus est, les chercheurs voulaient tester un très grand nombre de conditions différentes. Ils se sont donc naturellement tournés vers un modèle informatique pour simuler la température à différentes profondeurs en accord avec les conditions météorologiques (vitesse du vent, température extérieure et lumière du soleil) ainsi que la croissance du phytoplancton dans les différentes couches, basée sur la quantité de nutriments et de lumière présents. Pour bien calibrer et tester le modèle, les scientifiques ont utilisé les données du lac Erken, situé en Suède, qui est monitoré depuis longtemps. Ce lac de 24 km² se trouve à 60 km au nord-est de Stockholm, a une profondeur maximale de 21 m et contient une quantité modérée de nutriments.
Les simulations par ordinateur effectuées suggèrent que non seulement la vitesse du vent, mais aussi la température de l’eau en surface, la profondeur de la couche supérieure ainsi que les concentrations de nutriments et la quantité de lumière façonnent la réaction du phytoplancton aux rafales de vent. Par exemple, avec une couche supérieure de plus de 8 m, l’épisode venteux n’arrivait pas à mélanger l’eau pour provoquer des changements importants dans la quantité de phytoplancton. Dans la plupart des conditions simulées, des vents de vitesse moyenne d’entre 18 et 36 km/h donnent lieu à une augmentation du phytoplancton, mais au-delà des 36 km/h de moyenne, la concentration de phytoplancton diminue à nouveau. De plus, une augmentation dans la quantité de lumière du soleil renforçait fortement la croissance du phytoplancton après un épisode de vent violent.
La simulation des conditions météorologiques attendues avec le changement climatique a eu comme résultat des variations importantes dans l’état du lac : une eau plus chaude, une couche supérieure plus fine, une augmentation des nutriments dans les couches plus profondes et une croissance accrue du phytoplancton pendant les mois estivaux. Néanmoins, la réaction du phytoplancton aux épisodes de vents violents ne présente pas de grand changement ; en moyenne, les conséquences d’un épisode du même type sont les mêmes dans les simulations obtenues à partir des conditions actuelles du lac que dans les simulations avec l’état attendu avec le changement climatique.
Les résultats de cette étude (lien vers l’article) donnent un aperçu de combien la prévision des conséquences des épisodes de vent violent sur la croissance du phytoplancton est complexe. Malgré cette complexité, ces résultats peuvent s’avérer utiles pour le management des lacs en vue de la menace d’une augmentation des épisodes de surcroissance de phytoplancton toxiques, essentiellement dûs au changement climatique. La méthodologie utilisée – la modélisation par ordinateur – bien qu’une simplification de la réalité, permet d’étudier des cas qui seraient autrement impossibles à tester dans un environnement réel. Avec la fréquence et l’intensité des épisodes climatiques extrêmes (vents violents, mais aussi sécheresses et vagues de chaleur) prévues à la hausse à cause du changement climatique, il devient essentiel de mieux comprendre leur impact dans les lacs.
[This text is also available in English.]
Jorrit Mesman
Jorrit Mesman has obtained the BSc Soil, water, atmosphere and the MSc Earth and Environment at the Wageningen University in the Netherlands. He recently graduated from the University of Geneva, where his doctoral research focused on modelling the combined effects of extreme weather and climate warming on lakes. He has now started a position as post-doctoral researcher at Uppsala University in Sweden.
Ariadna Fossas Tenas
Ariadna Fossas Tenas has a PhD in mathematics from the University of Grenoble. She is a research assistant at the Nonlinearity and Climate Group of the Institute for Environmental Sciences, where she works on the paradoxical effect of altruism networks in common good issues. She is interested in science outreach and finds it enriching to discuss with colleagues from other disciplines about their research.