Évolution des communautés de saules en zone alluviale active des Préalpes fribourgeoises (1958-2020)

La végétation alluviale est une composante clé dans les écosystèmes riverains par les nombreuses fonctions qu’elle dispense : nourriture, habitats, régulation des températures, rétention des sédiments, filtration des nutriments, stabilisation des berges, parmi bien d’autres.

Cette végétation peut être considérée comme le reflet de l’intégrité écologique des zones alluviales. Autrement dit, une dynamique alluviale intacte, inhérente aux zones alluviales actives, implique forcément une végétation typiquement alluviale avec les espèces et groupements végétaux ligneux qui y sont liés. Ces groupements ligneux sont principalement composés de saules, précisément liés aux dynamiques et fluctuations alluviales des rivières.

Depuis 60 ans, en Suisse, plusieurs scientifiques ont traité de cette thématique phytosociologique sur les zones alluviales et leur état écologique, tels que Moor (1958), Gallandat et al. (1993) ou Roulier (1998). S’alignant sur ces connaissances, cet article, qui reprend les résultats d’un travail de mémoire, tente de montrer les tendances évolutives de groupements végétaux ligneux, principalement dominés par les saules, en zones alluviales actives des Préalpes fribourgeoises.

Méthodes

Deux approches ont été utilisées : une approche synchronique, qui compare les groupements actuels entre trois rivières (Gérine, Sarine et Singine), et une approche diachronique, qui compare les groupements actuels aux données historiques issues du premier travail synthétique suisse produit par Moor (1958). Les données hydrologiques disponibles sont utilisées pour les deux approches, afin de déceler les possibles liens avec les différences de végétation observées.

Des métriques hydrologiques sont extraites des séries temporelles disponibles pour les débits des rivières. Les données de végétation sont produites grâce aux relevés effectués sur le terrain durant l’été 2020, selon la méthode phytosociologique sigmatiste. Certains relevés historiques de Moor (1958) sont utilisés ainsi que d’autres sources de données externes sur ces types de milieu. Des techniques d’ordination et de classification sont mises en œuvre pour comparer et classer les données.

Résultats et discussion

Les résultats diachroniques confirment les constats émis par Gallandat et al. (1993) à propos des modifications de compositions floristiques des groupements végétaux et de la perte de dynamique alluviale des rivières. La Sarine a effectivement subi d’importantes modifications alors que la Gérine et la Singine n’ont que peu subi de modifications hydrologiques et sont néanmoins touchées du point de vue de la composition des groupements végétaux. Des espèces exogènes ont fait leur apparition.

Les résultats synchroniques permettent de déceler de légères différences floristiques malgré la proximité géographique des rivières. L’espèce typiquement alluviale, le Tamarin des Alpes, garante d’une dynamique alluviale intacte, est uniquement observée sur la Singine.

Grâce aux groupements végétaux recensés, la description du Salicetum elaeagno-daphnoidis Moor 1958 (saulaie à saule drapé et saule pruineux) peut être affinée et actualisée. Ce groupement végétal manquait d’homogénéité et incorporait en réalité deux entités différentes, l’une Salici elaeagni-Hippophaetum Br.-Bl. in Volk 1939 (saulaie à saule drapé et argousier) et l’autre Salicetum elaeagno-daphnoidis Moor 1958 (saulaie à saule drapé et saule pruineux).

Le Salicetum elaeagno-purpureae Sillinger 1933 (saulaie à saule drapé et saule pourpre) et la "variante à Tamarin des Alpes" du Salicetum elaeagno-purpureae Sillinger 1933 (saulaie à saule drapé et saule pourpre) sont nouveaux pour la région et correspondent à la littérature qui les décrit.

Ces nouvelles données contribuent directement au projet suisse de référencement phytosociologique PhytoSuisse (Prunier et al., 2019) qui s’est donné comme objectif la vision synoptique des groupements végétaux sur le territoire helvétique.

La figure 1 ci-dessous schématise les groupements végétaux recensés et leurs relations spatiales et temporelles dans les zones alluviales actives des Préalpes fribourgeoises.

Figure 1Figure 1 : schéma résumant les relations entre les groupements végétaux évoqués, leur évolution par rapport aux groupements correspondants de Moor (1958) et leur position dans l'espace et le temps en fonction des dynamiques alluviales.

Conclusion et perspectives

Des recherches futures sur le Tamarin des Alpes, qui est fortement menacé, peuvent être envisagées pour estimer son statut exact ainsi que la diversité de ses populations qui influence la capacité du taxon à assurer sa descendance comme le suggèrent Woellner et al. (2021).

Les espèces exogènes, telles que le Buddléia de David, sont parfois fortement abondantes. Ceci laisse penser qu’elles peuvent influencer les groupements végétaux alluviaux ; des recherches sur les possibles interactions et influences entre ceux-ci pourraient être envisagées.

Il est finalement certain que tous les groupements végétaux n’ont pas encore été échantillonnés. Il reste ainsi beaucoup à découvrir sur la diversité de ceux-ci et leurs relations dans l’espace et le temps.

Néanmoins, ce travail apporte une compréhension plus fine des processus mis en œuvre dans l’évolution de la végétation en zone alluviale. Il s’intègre aux connaissances préalables, comme les travaux de Moor (1958), de Gallandat et al. (1993) et de Roulier (1998) cités ci-dessus, en tant que témoins de ces écosystèmes alluviaux fortement modifiés par les activités humaines.

En outre, il invite à leur prêter une plus grande attention et à développer des stratégies de gestion et de préservation adéquates et efficaces pour assurer leur pérennité et celle de tous les organismes qui y sont liés.

Références

Gallandat J.-D., Gobat J.-M., Roulier C. (1993). "Cartographie des zones alluviales d’importance nationale — Rapport et annexes". Cahier de lenvironnement, 199. Office fédéral de l’environnement, des forêts et du paysage (OFEFP).

Moor M. (1958). Pflanzengesellschaften schweizerischer Flussauen [Thèse de doctorat]. Institut suisse de recherches forestières, Bâle.

Prunier P., Greulich F., Béguin C., Boissezon A., Delarze R., Hegg O., Klötzli F., Pantke R., Steffen J., Steiger P., Vittoz P. (2019). PhytoSuisse : Un référentiel pour les associations végétales de Suisse. V4. Infoflora.

Roulier C. (1958). Typologie et dynamique de la végétation des zones alluviales de Suisse [Thèse de doctorat]. Université de Neuchâtel.

Woellner R., Scheidegger C., Fink S. (2021). "Gene flow in a highly dynamic habitat and a single founder event : Proof from a plant population on a relocated river site". Global Ecology and Conservation, 28. doi.org/10.1016/j.gecco.2021.e01686

Richard Arthur Dupont

Richard Arthur Dupont

Richard Arthur Dupont a étudié la biologie et l’ethnologie et a effectué son travail de mémoire en phytosociologie pendant le cursus de master à l’Institut des sciences de l’environnement de l’Université de Genève. Après quelques saisons de botanique et de naturalisme varié, il est à l’aise sur le terrain pour tous types de projets. Il est aujourd’hui botaniste, berger et coursier à vélo.

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